Avant que le dépanneur Sylvestre ne soit crée, il y avait déjà un réseau informel d’entraide.
Après quelques années d’existence de ce réseau, nous avions identifié que malgré toute notre bonne volonté, cette forme d’entraide ne suffisait pas à sortir les personnes de leur isolement social. Afin de faire évoluer la relation aidant-aidé vers une forme d’inclusion plus collective, nous avions alors initié des rencontres mensuelles dans laquelle chaque personne pouvait échanger avec d’autres et retisser des liens.
Sauf que les personnes aidées provenaient de groupes d’âges et d’horizons très différents, ce qui ne facilitait pas les contacts naturels entre elles.
Nous avions alors découvert que pour réunir des personnes qui n’ont pas nécessairement d’affinités entre elles, il y avait deux activités “universelles” qui favorisaient une certaine adhérence collective : Manger ensemble, …et chanter ensemble!
Ces rencontres mensuelles “manger et chanter ensemble” ont d’une certaine façon constitué les prémices de ce qui allait devenir le dépanneur Sylvestre.
On peut dire que par la suite le “manger ensemble” est devenu le moteur de rassemblement collectif dans les premières années du dépanneur. Qu’il s’agisse du “repas du travailleur” à midi, des diverses formules de souper durant la semaine, familial, de solidarité, du vendredi soir ou en alimentation vivante le lundi, ou enfin des brunchs hebdomadaires, ce sont sans doute avant tout ces partages autour d’une table commune qui ont véritablement rassemblé les volontaires en vue d’une même mission.
Et très vite, le “chanter ensemble” s’est tout naturellement imposé, à l’initiative de quelques fidèles enthousiastes (lesquels se reconnaîtront autour du piano) qui ont animé cette activité tous les vendredis soirs.
Les toutes premières soirées de “Chantons ensemble” au dépanneur Sylvestre
Par la suite l’espace de la grande salle est devenu un lieu privilégié pour prestations de musiciens et rencontres informelles d’improvisation musicale. L’âme du dep a certainement grandement bénéficié de tous ces chants et musiques, merci à toutes celles et ceux qui ont fait vibrer de leurs harmonies sonores les murs du dépanneur Sylvestre, et qui le font encore à nouveau à l’Espace DEP Sylvestre!
Quelques présences musicales, parmi une foules d’autres qui ont suivi par la suite, spontanément offertes au tout début du dépanneur Sylvestre
Illustrations produites en 2004 dans le cadre d’un partenariat avec Parole citoyenne et L’Office national du film.
Il arrive que des personnes me remettent d’anciennes photos dont ils se débarrassent, sachant que je cherche toujours des sujets d’inspirations pour les dessins. Je les en remercie.
L’image ci-dessous provient de l’un de ces dons de photos de famille que j’ai reçu avec gratitude. Je n’en connais pas la provenance, vous me direz si cette photo vous dit quelque chose.
Elle m’a touchée, se démarquant du lot!
Il s’agit de deux fillettes réunies à l’intérieur d’un même manteau d’adulte. Tout simple, mais pour moi il y a toujours plus que ce que l’image représente dans la vie quotidienne. Comme s’il y avait un autre message, plus subtil, que je m’efforce dès lors d’entendre.
C’est probablement le fait de se reconnaître non séparés, les deux fillettes partageant un même espace, une même appartenance.
La vie du “chacun pour soi-même”, très présente à notre époque, et j’y participe amplement, me rend triste. Il n’y a pas d’autres mots. Vivre avant tout pour moi-même, pour mon propre bien-être m’apparaît totalement dénué de sens.
Cela ne veut pas dire que je n’ai pas de comportements égoïstes. C’est tout simplement parce que cette forme de vie dirigée vers soi-même me semble complètement vaine et misérable. J’admire les personnes qui y arrivent, se suffisant de leur propre bonheur, ce n’est pas mon cas.
Dans la vie “normale”, chaque personne a son propre manteau, son propre agenda, sa propre source de confort, ses propres façons de se protéger.
Dans la présente image, les deux fillettes partagent en toute complicité le même manteau, peu importe ce que peut représenter ce même manteau, comme par exemple être élevés dans la même famille, s’épanouir dans la même culture, ou se reconnaître enveloppé par le “manteau” commun de notre environnement naturel.
Parfois certains projets prennent toutes sortes de détours avant d’arriver à maturité.
À Voix et Couleurs, nous avions commencé dès 2020 à travailler sur le visuel graphique d’un mini-clip, à la demande de Shakti Musique, en vue du Jour de la terre 2021. Finalement, l’achèvement de la première version a été retardé, entre autres en raison de la pandémie. Puis cette année nous avons œuvré à un nouveau visuel pour le même clip, cette fois-ci à partir de photos, afin de s’enligner davantage sur l’approche stylistique de Shakti Musique (montage photos sur chanson).
Cette nouvelle version est disponible sur le site de shaktimusique.org, https://shaktimusique.org/2023/04/20/tous-les-oceans/ ainsi que dans l’article de Mireille publié dans cette édition spéciale du Petit Parc à l’occasion du Jour de la Terre.
Nous vous partageons ici la toute première ébauche, entièrement constituée de dessins, avant que la bande sonore ne soit retravaillée.
Le clip est un peu conçu comme un vidéoclip en ce sens que des images de l’auteur-compositeur-interprète se juxtaposent au visuel sur l’environnement. Le format d’origine est carré en fonction des médias sociaux.
Je suis toujours touché par les gestes d’attention à l’autre, particulièrement lorsque ces gestes s’accompagnent d’une écoute intérieure.
Je ne me l’explique pas, c’est sans doute pour moi une forme de reconnaissance instantanée de cette profonde qualité humaine de présence attentive à l’autre.
Ici deux participantes à un atelier lors d’un exercice d’intériorisation dans le cadre d’un atelier pratique de dessin et de photo.
C’était dans les tout débuts du dep Sylvestre, alors que c’était encore un vrai de vrai dépanneur, avec de la bière, des cigarettes, des chips et autres.
Nous ne vendions pas grand chose de frais. Du côté du prêt à manger, un distributeur nous livrait chaque semaine des sandwichs aux oeufs mayonnaise. Il s’agissait essentiellement de deux tranches de pain blanc, beurrées d’un peu de mélange aux oeufs, le tout emballé dans un contenant en plastique.
Certains anciens habitués de ce petit dépanneur, qui venaient régulièrement acheter leur caisse de bière et paquet de cigarettes, prenaient au passage un de ces sandwichs en guise de souper.
La valeur nutritive de ces maigres sandwichs ne devait pas être très élevée, et il n’y avait pas là non plus de quoi remplir un estomac.
En fait, nous avions fait l’expérience de compresser entre nos mains l’un de ces sandwichs, et il n’en était ressorti qu’une toute petite boule de matière pâteuse peu appétissante.
C’est à ce moment-là que s’est produit un autre des petits miracles du dep en la personne de celui qui est devenu l’actuel président du CA de l’Espace DEP Sylvestre.
Il vivait alors à Montréal et travaillait dans un restaurant. Il était venu au dep, et nous l’avions consulté sur la façon d’offrir un sandwich plus substantiel et nutritif pour le même prix, soit 3.50 $ (Il avait fait des études en diététique).
Le créateur des sandwichs Baraka à l’oeuvre dans les tout débuts du dep
Il créa alors la série de sandwichs Baraka, lesquels étaient constitués d’un solide petit pain aux huits grains, d’une grosse portion de l’un des quatres mélanges, soit le thon, les oeufs, le fromage à la crème ou le végépâté, à laquelle s’ajoutait une généreuse quantité de légumes, principalement des carottes. Du côté saveurs, l’ensemble était très goûteux, relevé de condiments et d’épices à la marocaine!
Les sandwichs Baraka étaient non seulement nutritifs, mais aussi “bourratifs”, dans le sens qu’ils ont rapidement été réputés pour procurer une sensation de satiété.
Baraka signifie “chance”, “bénédiction”.
Là où le mot Baraka a pris tout son sens, en rapport avec l’une de ses définitions : “quelque chose auquel on ne s’attend pas et qui agit de façon positive”, c’est dans l’ampleur qu’a pris la production de ces sandwichs.
Même si la mission initiale d’offrir ces sandwichs nutritifs au dep était remplie, leur créateur ne s’arrêta pas là. Il commença à en vendre dans divers commerces, au CEGEP de l’Outaouais et même de l’autre bord de la rivière dans des édifices gouvernementaux ainsi qu’à Montréal.
Les débuts de la chaîne de production matinale des sandwichs Baraka
Le petit sandwich Baraka s’est ainsi multiplié, contribuant à faire connaître le dépanneur Sylvestre bien au-delà de son quartier d’origine.
C’est la même personne qui encore aujourd’hui œuvre à la relance de la production agroalimentaire de l’Espace Dep Sylvestre dans le nouvel emplacement au 230 Rue Montcalm, Gatineau. Ne manquez pas d’aller y faire un tour, d’y déguster un café ou un jus, ou d’y manger un généreux sandwich! Ou encore de venir rencontrer la communauté lors du souper du mardi soir à 18h!
Un fidèle collaborateur de la production artisanale des sandwichs Baraka
Il y a des amitiés qui sont spéciales dans le sens qu’elles ne se construisent pas au travers du temps comme la plupart des relations amicales.
L’amitié dont j’aimerais vous parler est de celles qui vous surprennent parce qu’elles sont spontanées, immédiates, instantanées. Hors temps et hors espace comme si elles avaient toujours existé et qu’elles existeront toujours pour l’éternité.
Pas descriptible.
C’est à propos de mon ami Gil que j’aimerais vous partager quelques mots, en gratitude pour sa précieuse présence dans ma vie.
Il faut mentionner que Gil a l’amitié facile. Il n’y a aucune barrière, aucun filtre à la spontanéité de son élan envers l’autre. Gil est le « Monsieur câlin » en personne. Il vous prend dans ses bras mieux que quiconque. Pas difficile de se sentir immédiatement en confiance avec lui.
J’ai rencontré Gil au dépanneur Sylvestre. Il faisait partie des « Alchimistes », un groupe de personnes en inclusion, présentant une forme ou une autre de déficience intellectuelle. Oui, Gil est né avec une trisomie, ce qui est tout à fait accessoire en ce qui concerne notre amitié. Personnellement, il me semble que Gil est bien moins handicapé que je le suis, au moins pour ce qui est d’adhérer pleinement à la vie en toute simplicité.
En fait, je dirais qu’il y a une forme de complémentarité entre nous, peut-être parce que je suis par nature un peu désincarné, et que lui est tout au contraire très bien ancré dans la vie et dans son corps!
Comment cette amitié a débuté?
C’est loin dans ma mémoire. Je ne le connaissais pas encore personnellement. Il me semble que l’ai croisé alors que je venais de rentrer dans le dépanneur. Je lui ai demandé comment il allait, ce à quoi il répondait invariablement « Bien! » en hochant la tête. Mais cette fois là il ne répondit rien. J’ai alors insisté en lui reposant la question avec plus d’intensité.
Des larmes lui sont montées aux yeux.
Je me suis approché de lui, pensant avoir commis quelques maladresses à son égard.
Il s’est alors mis dans mes bras.
Tout simple, le pacte d’amitié était dès lors signé.
J’ai su plus bien tard qu’il était en train de perdre sa mère, et que cela lui amenait beaucoup d’anxiété
Pour la petite histoire, que j’ai déjà racontée à maintes reprises, il s’est passé par la suite quelque chose d’inédit entre nous, au-delà de cette amitié spontanée.
Il m’arrivait souvent de filmer des événements au dépanneur, caméra à l’épaule. Gil me revenait à chaque fois en me signifiant par signe qu’il aimerait être devant la caméra. Il faut mentionner que Gil a des difficultés d’élocution et qu’il est parfois difficile de le comprendre. Je hochais la tête lui indiquant que j’avais entendu puis je continuais à filmer.
Je le reconnais, cela m’a pris des années avant de prendre sa requête au sérieux.
Puis, grâce à sa persévérance, et grâce à beaucoup de contributions de différentes personnes, nous avons fini par tourner ensemble une petite websérie à son nom : Mon Ami Gil
Les épisodes qui relatent l’histoire de son intégration sont disponibles (par ordre chronologique inverse) sur son blog.
« Être avec », c’est la façon la plus simple et la plus concise de décrire ce qu’est la pratique du « dessin tracé de vie ».
Et pour moi, cette image d’une jeune mère en train de tracer tout en gardant son nouveau-né contre elle résume parfaitement ce que veut dire « être avec ».
Le dessin tracé de vie, c’est dessiner ce qui est.
C’est tracer les formes de vie et les être vivants tels qu’ils ont été créés, sans chercher à les corriger, à les parfaire ou à les embellir. C’est une façon « d’être avec » le sujet représenté, au cœur de l’instant présent, dans la gratitude pour sa présence et son don de vie.
Tout ce qui existe sur terre peut être accueilli et dessiné, sans jugement ni censure, en reconnaissance de l’apport unique de chaque existence.
Le dessin-tracé est une façon très simplifiée de dessiner qui ne requiert aucun apprentissage, aucune habileté ni aucun souci de performance artistique.
Dessin tracé sur tables lumineuses au dépanneur Sylvestre
Cette pratique propose tout simplement de tracer le sujet tel qu’il se présente à notre regard, dans sa propre réalité, sans filtres ni attentes. C’est « laisser le crayon faire son chemin », sans essayer de contrôler le résultat.
L’image finale peut ensuite être mise en couleurs et accompagnée de quelques mots inspirés par le sujet.
Les outils sont simples et peu coûteux : feuilles de papier régulières ou papier à tracer, crayon à mine, crayons de couleurs ou simple boite d’aquarelle. On trouve maintenant en ligne de petites tables lumineuses à un coût très accessible.
Petit tracé va loin
Cette petite pratique de dessin a commencé au dépanneur Sylvestre.
Nous avions remarqué que la pratique du dessin permettait de calmer l’agitation mentale et favorisait l’intériorité ainsi qu’un certain recul face aux événements vécus.
Cependant un grand nombre de personnes ne voulaient même pas s’essayer à cette pratique pacifiante parce qu’elles se considéraient nulles en dessin. Le dessin tracé à partir de modèles simplifiés s’est alors tout naturellement développé. En commençant par de petits ateliers thématiques.
Dessin tracé avec enfants et adultes au dépanneur Sylvestre
D’année en année, des milliers de dessins ont été produits sur une grande variété de sujets allant de l’enfance dans le monde aux animaux menacés, en passant par les grands sujets sociaux tels la faim et l’extrême pauvreté dans le monde, l’exploitation et l’esclavage, les conflits sociaux, les personnes handicapées, les peuples autochtones et l’environnement de la planète.
D’abord pratiqué au dépanneur Sylvestre, le dessin tracé de vie, aussi appelé dessin de solidarité ou dessin-prière, a depuis une vingtaine d’années été offert dans de nombreux endroits : écoles, centres d’art, centres communautaires, foyers pour les personnes âgées, dans la rue, des parcs, et même un orphelinat au Pérou. Nous nous préparons maintenant à l’offrir aussi à domicile, en particulier auprès de familles, de personnes isolées et de personnes en perte de mobilité.
Dessin tracé au Pérou dans un orphelinat
Avec le temps, d’autres volets se sont ajoutés autour de l’image de soi et la transformation du regard porté sur le corps. Divers ateliers thématiques destinés aux femmes ont été donnés au Québec sur cette thématique.
Témoignages
Malgré une vingtaine d’années de pratique du dessin tracé de vie, cela reste difficile de mettre en mots le processus, peut-être est-ce parce qu’il est trop simple?
Les témoignages des personnes qui l’ont pratiqué sont plus éloquents :
« Tracer m’apporte une joie profonde. Quand je commence à dessiner, tout se tranquillise en moi. »
«…Les pensées cessent de tourbillonner sans fin et je me retrouve calme et à l’œuvre dans cette pratique apaisante, simplement à l’écoute de l’être ou de la réalité sensible que je suis en train de tracer ou de dessiner, en toute gratitude et reconnaissance. »
« Je suis en très grande reconnaissance de ce processus d’apprivoisement… ça m’a libéré d’une très grande tension intérieure que je ne savais même pas que je portais! »
« L’action de tracer brise les schémas de stress et de performance. Ce geste si simple me permet de prendre contact avec la réalité vécue par le sujet représenté. Ce lien qui s’établit m’amène à saisir une situation, une émotion, un état, et à en apprivoiser toutes les facettes, les reconnaissant ainsi en moi-même. »
« Ça me fait tellement de bien de dessiner… je crois que dessiner est un code secret pour dessiller, dessiller les yeux. Les yeux du cœur probablement. »
« Merci encore pour cette pratique si apaisante, je la délaisse parfois, mais c’est toujours un baume pour l’âme et l’être entier quand j’y retourne. »
« Dessiner m’a fait faire toute une thérapie de relaxation, d’approfondissement et de découverte.
Une chose est sûre, plus je suis au dessin, moins je suis dans des ressentis quand une situation conflictuelle arrive. »
« Quand je trace, c’est comme si je reconnectais avec une partie de moi-même que j’avais oubliée. Je suis remplie de gratitude pour ce tracé qui est possible par une écoute respectueuse et fidèle. Je me rends compte que le dessin est bien, mais que suivre la ligne de vie avec le crayon ramène la vie en moi. Ça garde le lien avec cette personne qui se fait toute humble pour sentir profondément cette ligne de vie ainsi qu’avec la personne ou l’animal tracé, et ça me reconnecte avec cet espace de paix qui est au fond de moi. »
« L’action de tracer brise les schémas de stress et de performance. Ce geste si simple me permet de prendre contact avec la réalité vécue par le sujet représenté. Ce lien qui s’établit m’amène à saisir une situation, une émotion, un état, et à en apprivoiser toutes les facettes, les reconnaissant ainsi en moi-même. »
« Cette pratique de dessin nous invite à voir la vie telle qu’elle est censée être vue, sans jugement. Chaque trait tracé est comme une ligne de vie. Une ligne pour nous sauver de nos esprits dominateurs et coupeurs de vie. Pour nous donner un moyen de voir ce qui est vraiment vivant, au-delà du filtre de notre mental. Cette pratique peut nous aider à faire face à nos peurs. Souvent, je dessine ce qui m’effraie et m’intimide. Dans la ligne, je trouve la sécurité dont j’ai besoin pour regarder la peur. Souvent, la peur s’atténue à la lumière de la vérité, à la lumière de l’acceptation et de la compassion. »
« Tous nous étions concentrés en suivant les traits des personnes, à faire le dessin-tracé qui nous unit directement à la personne en la traçant. J’ai senti que par le tracé le lien devient alors palpable et plus uniquement virtuel ou intellectuel. L’actualisation en moi de la réalité de la personne se fait au fur et à mesure que je trace. J’entre alors en communion et en compassion avec la personne et je réalise sa présence en moi. Cette soirée-là a été marquante car je me sentais unie à la personne que je traçais, unie aux personnes qui étaient comme moi en train de tracer et de dessiner »
« Pour une personne comme moi, qui a un mental agité, le dessin-tracé de vie est la seule façon de faire silence. »
Lui : Un ancien fonctionnaire au fédéral. À la suite d’un AVC, il se retrouve dans un programme de réinsertion au dépanneur Sylvestre avec un groupe d’autres personnes partageant des conditions similaires.
Elle : Impliquée dans l’équipe du dépanneur depuis de nombreuses années, ancienne responsable du comité de soutien du dep, et en perte de mobilité due à la progression de la sclérose en plaques qui affecte l’ensemble de ses capacités.
Ils se rencontrent lors d’un souper communautaire au dépanneur. Il s’aperçoit alors qu’elle est en chaise roulante et lui offre de l’assister.
Peu après, lorsqu’une partie de l’équipe du dep décide de se rendre au Forum social mondial à Montréal en été 2016, ils relèvent ensemble le défi d’y participer malgré les obstacles dus aux handicaps. Et l’on aperçoit le joyeux duo se rendre à diverses activités, surmontant les embûches et les nombreux problèmes de manque d’accessibilité.
Depuis, ils participent ensemble à divers événements. Il la transporte dans un véhicule adapté à toute heure du jour, hiver comme été, fait ses achats, lui fait assister par FaceTime à des présentations auxquelles elle ne peut se rendre en personne, et s’occupe de toutes sortes de petits problèmes comme appeler les pompiers lorsque son monte-personne reste coincé durant les grands froids.
De son côté, elle l’assiste dans une écoute à ses défis et orientations de vie. Une amitié unique d’attention à l’autre se tisse au travers des vulnérabilités partagées. Amitié qui persistera à distance, lui étant retourné récemment dans sa région natale de Québec.
Si nous racontons cette histoire en guise d’hommage, c’est qu’à notre avis elle illustre bien les “petits miracles du dépanneur”, lorsque dans une atmosphère de don et d’entraide, l’inespéré se réalise sans qu’on l’ai planifié!
Que ce soit nos proches, qu’il s’agisse de notre frère ou de notre soeur avec lequel ou laquelle nous avons été élevés ensemble, que ce soient nos frères et soeurs au sens plus large avec lesquels nous partageons nos missions de vie ou les destinées de cette époque, nous sommes d’une certaine façon toujours profondément complices!
Il me revient le souvenir lointain, et à la fois vif, d’une jeune artiste avec un grand sourire, elle se reconnaîtra peut-être.
Je l’ai rencontrée alors que j’étais impliqué dans un centre d’art, elle était à l’âge béni où l’on veut tout découvrir, où l’on est encore curieux de tout.
Je me souviens de lui avoir partagé ma propre passion de la photo au travers de quelques ateliers pratiques et séances de prises de vue.
J’aime cette image d’elle parce qu’elle représente bien sa proximité confiante avec la nature. Si je fais abstraction de la représentation de l’herbe, je la vois comme immergée dans une fluidité océane de la vie.
Ce qui évoque en moi sa passion pour les mammifères marins, passion qui lui fera quitter définitivement la région pour se rapprocher de ses amis aquatiques.
Elle avait en tout premier pris bien soin d’enfiler tablier et gants pour éviter de se salir.
Et puis, après avoir copieusement inondé son œuvre de couleurs, après un temps d’arrêt, elle a résolument plongé ses mains nues dans la peinture fraîche!
Cette jeune participante à un atelier de création de fonds que je donnais m’a offert en retour, et sans le savoir, une leçon de vie.
On a beau vouloir tout planifier, tout évaluer et contrôler, il vient un temps où il est impérieux de plonger. C’est dans ce temps-là que surgit la véritable créativité, non pas celle qui est raisonnée et conditionnée par nos appréhensions, attentes ou jugements.
Aller au-delà des apparences, aller voir plus creux, plus profond!
J’avais expliqué aux enfants, durant l’atelier de création de fonds, qu’ils étaient encouragés à explorer les différents médiums, à les mélanger, et même à faire tout ce qu’on n’a pas le droit de faire à l’école, comme casser les crayons et se salir.
Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde.
Une des participantes à l’atelier se mit en tête d’ouvrir l’étui en plastique d’un gros surligneur jaune. Après bien des efforts, elle réussit à en extirper la feutrine imbibée d’encre et à répandre celle-ci sur une feuille de carton.
Puis, en continuant à fouiller dans les matières à recycler, elle découvrit un vieux téléphone portable. Après avoir demandé si elle pouvait l’ouvrir, elle s’empara d’un maillet et se mit en d’en briser l’étui protecteur.
Satisfaite d’avoir mis à jour la partie cachée du téléphone, elle imbiba celui-ci de colle blanche et décida de le coller en plein milieu de son œuvre.
Après réflexion, je me suis dit que ce qu’elle venait de faire était très intelligent! Si nous avions l’audace, comme elle l’a fait, d’enduire nos cellulaires et nos écrans de colle et de les fixer sur des feuilles de papier, peut-être qu’ils ne pourraient plus envahir nos vies.
Touché par cette image d’un adolescent marchant seul sur une voie ferrée.
Combien de migrants ont-ils empruntés ce chemin étroit et intransigeant du déracinement de leur terre natale, avec pour seule destination un horizon improbable.
Le chemin de fer dit bien ce qu’il est, il est rigide, balisé par deux rails inflexibles.
Il ne s’agit pas d’un petit sentier qui folâtre aux travers des champs et des vergers, et qui a le loisir d’aller de découverte en découverte.
Le chemin de la migration s’avère également rectiligne, sans concession, le temps étant compté, pressé par les nécessités de survie. L’urgence de se rendre à bon port le plus rapidement possible, sans même savoir si cette destination existe vraiment ou si elle n’est que mirage sans cesse repoussé.
Les rails, les fossés entourant les voies ferrées, les ponts de métal, les agglomérations traversées qui n’affichent que le dos et les volets clos des maisons, tous sont impersonnels et froids, aucune terre d’accueil jusqu’à ce qu’enfin les migrants rencontrent des mains tendues, un gîte et de la nourriture pour les réconforter.
C’est une épreuve qui marque toute une vie et qui met notre humanité au défi.
Parmi les activités spontanées qui ont vu le jour au dépanneur Sylvestre, il y a eu celle du dessin à la craie sur le trottoir.
Il y avait en permanence une boîte de craies, sur le côté juste à l’entrée du dépanneur.
Il y avait quelque chose de rafraîchissant de voir les enfants s’emparer de la boîte de craies et ressortir aussitôt pour grafigner le sol de formes et couleurs. Certains adultes suivaient.
Parfois de simples graffitis, d’autres fois des dessins plus élaborés, et avant tout ce geste de se pencher au plus bas vers le sol et de le marquer
J’avais l’image d’une créativité qui s’exprimait directement au ras du sol, sans filtres, sans attentes ni idées préconçues, tout à l’inverse de ce que j’avais rencontré en art contemporain.
À titre d’artiste professionnel en art contemporain, j’avais dû développer des approches de création beaucoup plus réfléchies, conceptuelles et dans lesquelles l’articulation de la démarche est primordiale, du moins si on veut être reconnu par les pairs et avoir accès aux systèmes de bourses. Même si j’étais en mesure de jouer le jeu, cela me faisait l’impression de vivre dans une bulle qui se maintenait dans des hauteurs intellectuelles, codées et balisées.
Vivre l’expérience du dépanneur m’a fait passer de ces hauteurs conceptuelles à l’expression au ras du sol. Merci pour ça!
Juste avant le geste de création
Il y a un instant qui m’est précieux, c’est celui de ce petit espace de temps en suspension, comme hors de toutes contingences, qui précède le geste de création.
Durant quelques secondes, tout l’être se met à l’écoute de l’inspiration intérieure, de ce qui veut s’exprimer.
J’adore discerner dans le regard de l’autre ce petit instant d’appel intérieur, cet instant de tous les possibles. Et puis, le souffle de l’inspiration surgit, et le geste de l’inscrire, de lui donner forme et corps sur la feuille ou sur le sol se manifeste.
Comment est-ce que la création du monde s’est faite, avant le fameux “Big Bang”, avant le surgissement de la volonté créatrice dans la matière? Est-ce qu’il y a eu un petit temps d’écoute intérieure, un inspir créateur?
Nous venions d’ouvrir la grande salle, et nous avions commencé à offrir des repas à contribution libre. Le mot s’était répandu assez rapidement. Un itinérant d’Ottawa, qui était déjà venu une fois, était revenu en amenant avec lui quelques compagnons de la rue.
Parmi eux, il y en avait un qui ne savait trop où se mettre. Visiblement timide, peut-être mal à l’aise, il était unilingue anglophone, et les autres autour de lui s’exprimaient en français.
Aussi il faisait gris et sombre, et pour tout dire, c’était une période difficile. nous en arrachions. La vente des produits de dépanneur était nettement insuffisante pour s’en sortir.
Toujours est-il qu’après un temps le groupe d’Ottawa a demandé à cet homme, qui ne savait toujours pas quoi faire de lui, de jouer. Après s’être fait prié à plusieurs reprises, il a fini par sortir son banjo. Il s’est assis, et sans nous adresser un seul regard ni un mot, il a commencé à jouer, comme s’il était tout seul au monde.
Et c’est là qu’un petit miracle s’est produit. L’atmosphère maussade a subitement été traversée d’une rivière de notes claires et enjouées, une lumière chaleureuse a fait irruption dans la salle.
Nous étions “de retour chez nous”, je veux dire non pas en découragement et en exil de notre raison d’être, mais bien dans cette fête des retrouvailles dans laquelle tout devient possible. C’est inexplicable, c’est comme si quelqu’un venait de nous sauver la vie.
“Banjo”, merci pour l’offrande joyeuse de tes doigts sur les cordes de ton instrument. Notre rencontre n’a duré que quelques portées de musique, mais je ne t’oublierai jamais. Et si un jour, tu te reconnais dans ce petit dessin-hommage, dis-moi ton nom pour que je puisses l’inscrire dans mon cœur à côté du surnom que je t’ai attribué!
Il n’y a pas de mots pour décrire cet état là. C’est comme une brèche dans la linéarité du quotidien.
Le temps semble s’arrêter pour faire place à une autre dimension. Comme si les aiguilles de l’horloge suspendaient leur course pour faire place au mystère, et en même temps à la révélation de ce qui émerge de l’inconnu.
Les enfants sont naturellement plus doués pour rentrer dans cet état.
Peu importe ce que l’on entreprend, ça commence toujours par des premiers pas…
Une image créée dans le cadre de la visite des ateliers d’artistes d’Arts visuels de Gatineau.
C’est drôle, je n’ai jamais participé à une tournée d’ateliers d’artistes, malgré toutes les opportunités qui se sont présentées. Un premier pas en ce sens…
La plupart du temps je dessine une image parce que d’une certaine façon je me reconnais en elle.
J’ai l’impression que je n’ai fait que ça dans ma vie : des “premiers pas”…
Des premiers pas hésitants, souvent maladroits. Peu importe le secteur d’activité. Toujours en train d’apprendre. Et reconnaître que j’ai besoin de personnes “plus grandes” qui m’ont précédées pour me tenir la main.
C’est toujours à recommencer, en particulier dans le domaine artistique. Et le plus difficile, c’est peut-être de désapprendre ce que l’on croit savoir.
En ce moment j’apprends à faire mes premiers pas sur le chemin d’une plus grande simplicité, avec moins de prétention.
Sur ce chemin, ce sont les petits enfants qui nous précèdent, avec brio. Il y a tant et tant à apprendre d’eux.
Nous prétendons leur apprendre à vivre en ce monde, ce que nous réussissons que bien maladroitement. Tandis que eux, les petits enfants, nous apprennent la manière de renaître à notre véritable raison d’être, dans la joie et la simplicité.
Merci à l’amie qui a pris la photo dont je me suis inspiré, et merci à la petite qui me réapprends en ce jour à marcher sur le chemin de la vie.
Dans la série “Instantanés de vie”, voici une nouvelle estampe numérique d’après une photo que j’ai prise il y a longtemps de la complicité entre deux cousines. (voir “Instant de repos dans l’herbe” au https://lepetitparc.ca/manu/2022/06/02/instant-de-repos-dans-lherbe/ )
Le procédé de création est très ludique. J’y vais par étapes, exactement comme pour une estampe. Je commence par un dessin simplifié pour aller chercher les grandes lignes et l’expression des sujets avec un minimum de traits :
Ensuite j’essaye de répartir les valeurs lumineuses en utilisant uniquement des noirs et des blancs :
Puis j’adoucis les contrastes en “imprimant” l’estampe au moyen de textures :
Et enfin j’ajoute une deuxième couleur d’encre et quelques hachures pour rehausser le tout.
C’est une image qui n’a aucune intention ni aucune prétention.
Il me semble essentiel de faire régulièrement des images totalement gratuites, telles que celle-ci, sans intentions ni message, en embrassant un sujet dans la plus grande simplicité.
Cette gratuité donne plus d’espace pour explorer de nouvelles aventures graphiques que lorsqu’on travaille pour rendre des concepts, avec souvent beaucoup d’attentes de résultats.
Illustration inspirée d’un portrait de migrant du photojournaliste César Dezfuli
Nous sommes en Méditerranée.
Une embarcation chargée de migrants est à la dérive. Sur le navire qui se porte à sa rescousse se trouve un photojournaliste, César Dezfuli.
Au lieu de couvrir le drame collectif qui se déroule devant lui, César décide de passer deux minutes avec chacun des rescapés et de prendre des photos de chacun d’entre-eux, tels qu’ils sont, avec pour unique arrière-plan la mer qui s’étend jusqu’à l’horizon. Toujours en prenant bien soin de consigner précieusement leur nom.
C’est ce qu’on pourrait appeler un journalisme de cœur, beaucoup plus attentif à la personne qu’à l’aspect médiatique de l’événement. Les médias se préoccupant habituellement plus souvent du sensationnalisme de la situation ou du décompte du nombres de victimes.
Ce que César a réussi à capter, au travers de son appareil photo, c’est la présence de chacun face à l’inconnu, dans cette extrême vulnérabilité d’avoir tout quitté, d’avoir tout perdu, et de ne pas savoir de quoi sera fait demain.
Entre naufrage et sauvetage…
Une chose reste profondément signifiante, au-delà du portrait global que l’on peut tenter de se faire d’une situation à grand renfort de statistiques : la rencontre avec la personne.
C’est ce à quoi César Dezfuli nous convie au travers de sa série de photos de migrants.
Pour visionner les photos de la série « Passengers » de César Dezfuli : http://www.cesardezfuli.com/passengers
Au début, aucun média n’a voulu publier les portraits de migrants de César, jusqu’à ce qu’il remporte un concours. Lire l’histoire : https://fr.canon.ch/pro/stories/cesar-dezfuli-migrants/
En apprendre plus sur le site de César : http://www.cesardezfuli.co
Cet article a été précédemment publié sur le site des Antennes de paix
Quand ma fille était beaucoup plus petite, elle était très allergique aux chats. Et pourtant elle les adorait.
En particulier, lorsqu’elle apercevait de petits chatons, elle avait un irrésistible désir de les flatter. Et en même temps tout son corps traduisait la nécessité de se protéger d’une possible crise d’allergie ou d’asthme.
C’est cette tension que j’ai voulu traduire dans cette image réalisée d’après une photo que j’avais prise d’elle à l’époque.
Dans les débuts du dépanneur Sylvestre, nous avons offert jusqu’à une dizaine de repas par semaine, tous à contribution volontaire. Soit cinq repas du midi et quatre soupers en semaine, en plus du brunch du dimanche! Le tout sans subventions.
Très souvent la balance entre le montant des contributions volontaires et celui des dépenses en aliments pour le repas était déficitaire. À tel point qu’il nous arrivait fréquemment de commencer un souper les armoires vides, en se demandant comment nous allions faire pour avoir assez de nourriture afin de servir une quarantaine de personnes.
Et pourtant, nous nous mettions quand même à l’œuvre, en récoltant tout ce qu’on pouvait trouver dans la cuisine. Et presque immanquablement, une fois que la préparation était engagée, il se passait quelque chose, d’autres personnes et ressources arrivaient, et en fin de compte nous en avions assez pour nourrir en abondance toutes les personnes qui se présentaient!
Sur l’illustration, deux jeunes volontaires se préparant à servir des plats de fruits en guise de dessert. Elles se reconnaîtront peut-être!
Une place où prendre sa place!
La raison d’être du dépanneur a fluctué en fonction des circonstances et des rencontres.
Au tout début, alors que nous nous limitions à rester présents en arrière du comptoir-caisse de notre petit dépanneur de quartier, notre seule et unique “mission” demeurait d’être à l’écoute.
Et effectivement, cela répondait manifestement à un besoin, parce que beaucoup de “clients” partageaient leur vécu lors de leurs achats. Puis nous nous sommes très rapidement rendus compte que cette écoute n’était pas suffisante face aux détresses qui nous étaient confiées, et en particulier celle de l’isolement social. Ce pourquoi nous avons cherché des façons d’intégrer les personnes les plus marginalisées dans nos activités.
La devise du dépanneur est alors devenue : “Une place où prendre sa place!”
Cette période a signé les débuts de la mission d’inclusion du dépanneur. Des personnes de toutes conditions, expérience de vie et culture ont commencé tout naturellement à s’intégrer dans les activités du dépanneur.
Ensuite une jeune femme (représentée sur l’image, elle se reconnaitra sans doute), nous a demandé si nous accepterions de la prendre dans un programme officiel d’inclusion. Nous avons fait toutes les démarches nécessaires pour pouvoir répondre à sa demande.
C’est ainsi que nous avons créé l’organisme sans but lucratif le “DEP” (pour Dépannage-Entraide-Partage) afin de répondre à diverses sollicitations d’organismes partenaires.
S’il fallait choisir quelques mots pour résumer le sens de la vie, peut-être que je choisirais ceux-là.
Prendre soin, vraiment, comprend aussi le verbe aimer. Aimer avec beaucoup d’attention à l’autre. C’est un don.
Et ce don là, quand il est prodigué, quand il est offert avec cœur et tendresse, il me touche profondément. Je le reconnais en particulier chez les infirmières. Et aussi chez les aidantes naturelles. Avec une infinie gratitude.
Dans ma minuscule compréhension de ce qui se passe sur notre terre, il me semble que la véritable révolution viendrait de là. Prendre soin du plus vulnérable, prendre soin des collectivités, prendre soin de ce qui est blessé, prendre soin de l’ensemble des êtres vivants, prendre soin de la planète…
Peut-être qu’une nouvelle génération se lève, une génération d’infirmières et d’infirmiers de notre humanité et de notre environnement. Une espérance…
Illustration inspirée d’une scène du film “Touch me not”
Même quand ça semble totalement inconcevable, il y en a toujours qui réussissent à trouver d’autres façons d’affronter l’impossible!
J’ai été élevé dans les montagnes. Ou plutôt devrais-je dire, ce sont elles qui m’ont “élevé”, qui m’ont donné le sens des hauteurs et des profondeurs.
J’ai appris très tôt à grimper en faisant corps avec la paroi, en m’agrippant aux aspérités rocheuses, entièrement concentré sur la prochaine prise, sans regarder en avant et encore moins en arrière.
Des fois, avec des camarades, nous regardions passer ce que nous considérions comme des véritables alpinistes, tout équipés, avec leurs bottes à clous, leurs cordages, piolets, pics, mousquetons, etc. Armés de leur courage ils s’en allaient vaincre les plus hauts sommets!
Et puis un homme est venu, épris d’une immense liberté, qui a révolutionné le monde de l’escalade, inspirant de nombreuses personnes, hommes et femmes.
Souvent torse nu et sans équipement ni aucune forme de sécurité (ce que je conseille à personne), au mépris de toutes conventions, il escaladait seul d’immenses parois verticales, effectuant en souplesse et sans hésitations une véritable chorégraphie alpestre.
Son but n’était pas d’atteindre des sommets inégalés, ni de se donner en spectacle, mais tout simplement d’affronter ses propres limites, en cherchant à enchaîner les prises sans heurts, dans une forme de danse, tout en légèreté et fluidité. Comme en témoigne l’un de ses amis : “Il avait l’art de savoir jouer avec les difficultés en donnant l’impression de pouvoir les effacer sous ses doigts, alors que ses jambes orchestraient les pas d’une chorégraphie surréaliste. Il se servait des écueils naturels de la paroi comme éléments, comme matériel pour en faire les alliés de sa progression.”
Découvrir cet homme, Patrick Edlinger, m’a replongé dans mon enfance alors qu’avec mes amis nous grimpions allègrement la montagne comme des petits lézards.
(Pour la petite histoire, j’ai depuis pris conscience des dangers et monter sur une simple échelle me donne le vertige!)
Je suis fasciné par le regard des jeunes enfants, à la fois clair, concentré et dépourvu de filtres.
Toujours plein de gratitude pour la belle invitation à laquelle nous convient les enfants : celle d’alléger notre propre regard, de le libérer des préjugés et de le rendre plus transparent.
L´illustration ci-dessous s’inspire d’une photo d’un ami photographe, René Binet, qui nous a quittés prématurément.
Pour la petite histoire René a d’abord été technicien en radiologie. Puis il a senti l’appel de la photo.
Je dirais qu’il a gardé de son premier métier un regard pénétrant les apparences, il ne se souciait pas tant de la forme ou de l’esthétique que de l’humanité qui se dégageait des scènes et personnes qu’il photographiait.
Merci René!
Je suppose que la photo a du être prise dans les années ’80.
Temps de partage entre un volontaire bien connu des tout débuts du dépanneur Sylvestre, musicien, ouvrier et patenteux en tous genres, et notre “doyen”, ébéniste hors-pair, constructeur, peintre et violoneux. Le plus jeune montre au plus âgé comment aller chercher de la musique à écouter sur internet au moyen d’une tablette.
Le partage des savoir-faire, ressources et intérêts entres personnes de diverses cultures et générations est peut-être une des plus grandes richesses “non-programmées” de l’expérience du dépanneur Sylvestre.
Ce partage se fait spontanément en marge de toute activité organisée, tout simplement parce qu’il y a l’espace pour le faire, chaque personne ayant le loisir de s’attarder au gré des rencontres et des imprévus qu’amène l’initiative communautaire.
Se sentir chez soi, ensemble…
Peut-être parce que nous ne savions pas vraiment dans quelle direction précise nous allions aller, peut-être parce que nous avions ouvert l’initiative du dépanneur Sylvestre sans idées préconçues, toujours est-il que cette aventure a été parsemée de découvertes et de belles surprises!
Et l’une des plus importantes, c’est le fait que bien des personnes marginalisées se sont naturellement senties chez elles au dep, même si nous ne faisions pas d’effort particulier pour les rejoindre.
Se sentir chez soi, sans que ce soit une question de culture, de préférence ou d’identification à un groupe spécifique!
Des personnes de toutes les conditions sociales, de diverses appartenances culturelles et de tous les âges se sont senties chez elles au dépanneur.
Sur l’image, un groupe de jeunes profite de l’espace-sofa du dep pour se retrouver ensemble en toute convivialité.
J’ai dessiné cette image parce qu’elle me parle beaucoup. D’un côté il y a le déferlement des eaux tumultueuses, et de l’autre côté il y a la personne qui en émerge.
Cela me rappelle que nous sommes toutes et tous, à un moment ou un autre de notre vie, emportés par des émotions tumultueuses qui font que nous nous sentons perdus, mélangés, dans la confusion.
Et souvent, ça ne sert à rien de se battre avec les vagues et remous des ressentis mouvants et contradictoires. C’est plutôt en s’intériorisant qu’il y a moyen d’aller chercher un peu plus de paix.
Cette image m’a en particulier fait penser à cet âge charnière où nous passons de l’enfance à l’adolescence. Que l’on soit garçon ou fille, que d’agitation et de confusion! Et pourtant quand nous cherchons notre propre vérité et authenticité à l’intérieur de nous, nous en ressortons grandis, plus clairs et raffermis dans nos propres orientations, desquelles émergera par la suite notre direction de vie.
Un grand merci à la jeune personne qui a inspiré ce dessin ainsi qu’à sa mère qui l’a photographiée, vous m’avez offert un beau sujet de méditation!
Ce dessin fait partie d’une série intitulée “les photos de mes ami-e-s sont mes amies”, dans laquelle je mets en valeur de simples instants de vie du quotidien saisis par l’objectif de personnes que j’ai rencontrées.
Au dep Sylvestre, il y a eu plein de personnes invisibles qui ont œuvré dans l’ombre sans que presque personne les remarquent. Et pourtant, certaines de ces personnes sont devenues des légendes vivantes au travers de tous les petits services qu’ils ont offerts avec une extraordinaire persévérance.
C’est le cas de celui qui pendant des années et de sa propre initiative, s’est évertué à venir vider les gros sacs de déchets organiques qui sortaient de la cuisine, à les transporter dans son sac à dos ou dans une brouette, et à recycler cette précieuse matière sous forme de compost pour la plus grande joie des jardins et potagers des alentours. À tel point qu’il a fini par se faire appeler “Monsieur Compost” (il se reconnaîtra)!
Chapeau bas Monsieur recyclage, toute notre gratitude, vous avez été un véritable et humble pionnier en la matière, bien avant que cela devienne à la mode. Et avec le retour du beau temps, il doit y avoir beaucoup de bonnes terres enrichies par vos bons soins qui sans doute ont une pensée émue à votre souvenir!
Permettez-moi de vous dire aussi quelques mots à propos de celui que j’appellerais affectueusement “L’homme aux papillons”! (Il aimait beaucoup sculpter dans le bois des papillons aux ailes multicolores)
“L’homme aux papillons” avait un handicap. Tombé d’un cheval quand il était petit, il lui en restait des séquelles. Ce qui ne l’empêchait pas d’être extrêmement fidèle en amitié et persévérant dans ses initiatives. Un magnifique exemple de cette persévérance me revient sans cesse.
Il assistait parfois aux réunions d’équipe du dépanneur, même s’il ne saisissait pas toujours ce dont nous parlions. Lors de l’une de ces réunions, il comprit que nous avions un problème : l’absence de plancher dans la grande salle communautaire. Seules de vieilles feuilles de contreplaqué abîmées recouvraient le sol en béton, feuilles sur lesquelles les enfants pouvaient à tout moment, en jouant, se blesser avec des échardes.
Un ami du dépanneur avait tenté de nous aider en récupérant des planches de bois franc dans une maison qui avait été inondée. Mais nous avions vite déchanté, parce que toutes les planches qui avaient été sommairement arrachées du sol étaient traversées d’impressionnantes broches en métal que personne d’entre-nous ne parvenait à retirer, tant elles étaient profondément ancrées dans le bois franc. Nous avions donc remisé ces planches au sous-sol.
Plusieurs semaines après cette rencontre, nous nous aperçûmes que notre “homme aux papillons”, sans dire un mot à personne, passait le plus clair de ses journées assis dans le sous-sol sous la faible lumière d’une ampoule, à retirer les broches une à une des planches. Il s’était armé d’une minuscule pince, et, ne me demandez pas comment, à force de zigonner après les broches métalliques, il parvenait à les extraire. C’est ainsi que quelques mois après, après un extraordinaire jeu de patience de notre ami, nous avons pu installer un plancher de bois franc dans la salle communautaire. Un véritable miracle!
Comme nous l’avons maintes fois constaté dans cette initiative communautaire, les personnes qui semblent parfois les plus dysfonctionnelles ou handicapées au regard de la société, recèlent de dons et de capacités insoupçonnés.
L’homme aux papillons était de ceux-là, et toutes les personnes qui l’ont fréquenté reconnaissent avoir beaucoup appris de lui.
Un matin, il est tombé de sa chaise, comme il était bien des années plus tôt tombé d’un cheval. Son cœur a tout simplement cessé de battre en ce monde.
Dans les apparences seulement, car son cœur continue de vivre en celles et ceux qu’il a aimé et dont il se savait aimé. Et surtout, libéré des limitations qui ont entravé sa vie sur terre, je suis persuadé que ses ailes de papillon se sont maintenant pleinement déployées à la façon des ces splendides monarques qu’il admirait!
Quelques papillons sculptés par “l’homme aux papillons”
Nous l’aurions fêté en ce 24 juin, je suis honoré de l’avoir eu comme coloc!