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Mission : handicapé ?

Connaissez-vous le jeune philosophe français contemporain Alexandre Jollien ? Un homme inspirant au possible! Multi-handicapé de naissance, à qui l’on avait prédit qu’il serait chanceux s’il arrivait à travailler un jour dans une usine de fabrication d’allumettes, et bien cet homme qui ne devait ni parler ni marcher, enseigne maintenant la philosophie à l’université! Marié et père de 2 enfants, il est l’auteur de quelques petits bijoux de Best-sellers, dont « Le métier d’homme » et « Philosophie de la joie ». Il est aussi un conférencier très demandé en Europe.

 

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(Photo empruntée au site  d’Alexandre Jollien)

Un jour j’ai lu cette phrase qui m’a décontenancée…et ma foi, aussi inspirée et touchée. Il racontait qu’il a trois missions dans la vie : celle de philosophe, celle de père…et celle de « handicapé » !!!

« Quel culot! », que je me suis d’abord dit. Peut-on vraiment se vanter d’être handicapé? Une mission n’est-elle pas ce qui devient le moteur de toute une vie? Non seulement il  s’attirait le mauvais sort, mais en plus il en rajoutait, en s’affublant lui-même de cette étiquette de « handicapé »!  Son affirmation est plutôt choquante, dans un monde où l’influence du nouvel âge rend « politically correct » d’espérer se sortir de cette situation, pour le moins malheureuse et honteuse, et de croire qu’il faut projeter un avenir glorieux et lumineux, ou à tout le moins « normal » !

Alexandre Jollien n’a pas peur de dépasser les limites du possible, de la logique, de la science et du connu… pour ouvrir sur tout un monde de possibilité, même pour les estropiés, les handicapés de ce monde, dont je fais maintenant partie.

(Il me faut absolument ici préciser que mon dieu, je n’aurais jamais osé écrire ces lignes, il y a juste quelques semaines ! Comme si m’inclure dans le club des plus vulnérables, de ces gens qu’on ne voit pas, et qui dérangent, allait nécessairement m’exclure de ce monde « normal », où tous semblent plus beaux et plus heureux… même si j’y étais il y a pas si longtemps et que je sais pertinemment que c’est de la poudre aux yeux ! Fin de la parenthèse).

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Et lentement, très lentement, la Vie m’apprend à voir que je peux aussi trouver cette Lumière au cœur de l’épreuve. Au cœur de ce qui me rebute le plus en moi. C’est tout un chemin! Que je ne fais qu’entreprendre. Mais je crois maintenant mieux saisir ce que le philosophe entend par sa mission d’handicapé. Comme si nous, les handicapés (c’est fou comme je n’aime vraiment pas ce mot..), étions appelés, par notre seule présence, à obliger les gens à ralentir et accepter de regarder le plus petit, le plus vulnérable, mais aussi le plus laid… d’abord en soi, puis aussi en l’autre. Et d’arriver à l’embrasser. Pour enfin Vivre, et retrouver la Joie, la liberté!

Notre société en a tant besoin! Au cœur de cette course folle vers le profit, l’autonomie, le pouvoir, l’efficacité, la productivité, on fonce tout droit vers un mur !

En Occident, on n’a jamais vu tant de suicides, de burn-out et dépression… et de victimes d’un système déshumanisant…

Et pourtant… Comme il est difficile et mal vu de se reconnaître et d’accepter qu’on est handicapé, qu’on est en marge du système. Merci Monsieur Jollien !

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Son site web :
http://www.alexandre-jollien.ch/

Beaucoup aimé :
« Le métier d’homme », et « La philosophie de la joie »

1er sur ma « wish list » :
« Petit traité de l’abandon »

Ce petit livre visite vingt thèmes qui constituent à mes yeux le cœur d’une vie spirituelle. De l’amitié au zen en passant par la gratitude ou la bienveillance, c’est le chemin du « oui » qui se dessine. Au fond, l’ascèse c’est d’en faire moins, se dépouiller de tout ce qui nous entrave pour danser joyeusement dans la ronde de l’existence. Ce dernier ouvrage essaie d’être un viatique pour accompagner les hauts et les bas de l’existence.

Aussi à voir :
http://videos.arte.tv/fr/videos/entretien-avec-alexandre-jollien-le-bonheur-s-apprend-t-il–7104984.html

Éclopée, mésadaptée, handica-quoi ?

Quel périple que d’admettre que j’ai maintenant cette difficulté à marcher, qui m’a d’abord obligée à me servir de béquilles pour me déplacer, puis ensuite d’une marchette. Ce n’est qu’après plusieurs mois d’encouragements sérieux et d’invitations et d’explications de la part de professionnels de la santé que j’ai finalement accepté d’utiliser une marchette. Ça me repoussait au plus haut point !!! Ça nous classe instantanément dans une catégorie à part : les invalides. Les béquilles sont moins menaçantes: elles sont temporaires. Avec des béquilles, les gens sont d’une gentillesse : soit ils se sentent tout de suite interpellés et font tout pour aider, pour ouvrir les portes, laisser leur place dans la file au supermarché, ou bien ils te racontent comment ça leur est arrivé à eux ou à leur fille ou leur grand-père. Ou ils réagissent simplement normalement. Comme si c’est dommage, mais normal : un accident peut arriver à tout le monde.

Mais quand on nous voit avec une marchette, là on atteint un autre niveau… que les gens ne peuvent simplement pas envisager pour eux-mêmes. Enfin, c’est à mon sens  ce qui explique le mur, ou à tout le moins ce malaise à nous regarder dans les yeux. Difficile. D’abord pour moi, d’accepter cet instrument, d’une laideur, qui me donne une démarche saccadée, incertaine, lente… et remarquée!!! Moi qui aimais pouvoir marcher d’un  pas assuré, où et quand je souhaitais ! Et surtout d’un pas normal !

Il est vrai que ça me manque de prendre des marches, surtout en nature l’automne, ou dans la neige l’hiver. Et de sentir les muscles travailler, et tout. Mais je crois que là où le bat blesse particulièrement, c’est l’image. Dur d’être maintenant regardée comme si j’étais différente, handicapée. La réaction qu’un bon ami du cégep a eue en me revoyant par hasard après plusieurs années, avec ma marchette, m’a fait tout drôle : il me regardait dans les yeux et n’osait pas du tout regarder la marchette. Il parlait sans arrêt de ce qu’il était devenu. Je sentais chez lui un grand malaise. Et je trouvais difficile de ne pas pouvoir lui partager aussi comment ma vie a évolué depuis le cégep. Les défis de la SP et autres, mais aussi les choses que j’ai accomplies, contre toute attente ! Mais au fond, est-ce vraiment si important, le paraître? C’est fou, comment on accorde tellement plus d’importance au « faire » qu’au simple « être ».

Et puis me voilà maintenant bel et bien confrontée à une nouvelle étape, celle du ouf, du fauteuil roulant. Si difficile à accepter ! Je ne l’utilise pas à la maison : parce que j’en ressens pas le besoin, parce que je veux maintenir ma capacité à marcher, mais aussi parce que ce n’est pas adapté chez moi. Comme mon fauteuil roulant motorisé est dans le garage de mon bon ami et que je n’y ai pas accès directement, je l’utilise seulement à l’occasion. Je dois m’habituer à le manœuvrer.

Il me faut aussi apprendre de nouvelles façons d’entrer en contact avec les gens. Je sens que le fauteuil met un mur. On dirait que je me sens totalement différente, dans un autre monde où l’on ne me regarde plus de la même manière, qu’on ne me voit plus (je sais, je me rappelle d’un temps, où avant mon diagnostic, je ne voyais juste pas les gens en fauteuil roulant. Comme s’ils n’étaient plus partie de cette course folle,  et ne me paraissaient donc plus visible… en fait, je ne sais trop…).

 eclopee-1Vulnérabilité. Wow, quel chemin ! On nait vulnérable, et on nous accueille, nous embrasse, nous chouchoute. Puis vite, on perd cette innocence qui nous rendait libre… et heureux! Et capable de rire, chanter, danser, aimer sans ce souci de la perfection, sans cette peur tenace d’être jugé et rejeté ! Je sais que mon propre sentiment de ne pas être à la hauteur ou d’être indigne d’être aimée me coupe l’herbe sous le pied, et me paralyse tellement !

J’ai demandé, et je demande encore à la Vie de m’aider à accueillir cette vulnérabilité, et puis pouf! Elle me fait un ptit clin d’œil, l’air de dire : « be careful what you are wishing for ;o) ».

Ne serais-je pas comblée de tout ce dont j’ai besoin pour retrouver cette vulnérabilité? Si la marchette a « frappé fort », je ne m’imaginais pas à quel point l’adaptation à un fauteuil roulant, même à temps partiel, serait tout un défi !

Ni l’attente d’un logement adapté! Un autre des nombreux thèmes sur lequel il y a tant à dire, j’y reviendrai.

Peut-être que la perception des gens sera différente quand j’arriverai à poser sur moi ce regard aimant sur l’être vulnérable, « infirme », invalide que je suis. Mais aussi sur cette jeune femme coquette, têtue, passionnée à mes heures, battante, en quête de communauté, d’entraide et d’éternité.

 

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