Préambule : j’ai commencé à écrire ce texte en décembre 2013, peu après être tombée et m’être blessée aux côtes, la douleur rendant difficile d’envisager le jour où je pourrai sortir : impossible pour l’instant de penser même prendre un bain, encore moins mettre mes bottes d’hiver, très difficile à mettre avec mes orthèses, et encore bien moins de descendre et monter les escaliers… sans compter les pirouettes que le transport exigent, ou les obstacles d’endroits non adaptés…
Triste comment de plus en plus, les gens qui viennent me voir le font pour m’aider parce que je les paie, ou par sympathie, compassion, et presque plus personne ne vient par simple amitié, affection, ou désir de partager simplement du temps avec moi. Est-ce par peur de devoir m’aider? Il est vrai que j’ai de plus en plus besoin d’aide. Et je n’aime pas demander. Mais comment faire autrement?
Non, je n’ai pas les moyens de payer un assistant 24h sur 24. Ni le désir d’avoir le sentiment d’avoir que des rapports aidant/aidée, réducteurs à la position de personne qui n’a plus rien à offrir. Plus bonne à rien, et qui dérange ou demande sans cesse…
Bon, je sais que je peux être particulièrement dans ma bulle à mes heures. Difficile pour moi de juste parler pour parler. J’ai besoin de profondeur, de liens vrais. De complicité. De rire (et je sais, j’ai un sens de l’humour très particulier). Besoin de rester liée aux défis de notre monde et d’œuvrer à des projets porteurs de vie.
Vivement des projets de société d’une fraîcheur, empreint d’un esprit communautaire où chacun tient place d’être humain à part entière, et participant et contribuant, à sa mesure, à la vie de sa communauté, mais aussi de sa collectivité, et du monde (l’internet peut être un outil incroyable)!
Depuis quelques mois, je rêve de partager mon quotidien avec d’autres, qui soient handicapés ou non, riches, pauvres, étudiants, immigrants, familles, personnes âgées ou jeunes. Tous dans une grande maison ou immeuble à plusieurs chambres. Chacun ayant ses propres quartiers où il peut se retirer au besoin pour travailler à son rythme, se reposer, dessiner, bref, retrouver son intimité. Mais on trouverait aussi au cœur de cette maison des espaces communs (cuisine, salle à manger, salon, salle de rencontre même (que l’on pourrait prêter ou louer à des organismes de la communauté)… des lieux d’échange, de partage et de communion. Où chacun apporterait la richesse de sa présence.
Je rêve d’une maison qui respire l’entraide, où les personnes handicapées seraient supportées dans leur quotidien par les autres colocataires, mais aussi par des employés, et soutenu par la communauté (liens étroits avec les organismes qui œuvrent pour et avec les personnes handicapées dans la communauté.
J’ose rêver aussi d’une maison offrant un environnement favorisant paix intérieure et harmonie. Une maison où serait il possible : de cuisiner ensemble des repas végétariens, de partager des moments d’échange et de prière, d’offrir des ateliers de dessin, et même travailler à des projets communs…
En fait, je rêve d’une maison qui serait l’héritière des Maisons Simon de Cyrène en France, qui s’inspirent elle-même des foyers de l’Arche de Jean Vanier, présents partout dans le monde. Il doit y avoir possibilité d’adapter la formule au Québec, même s’il n’y a pas de service militaire obligatoire.
Quelques statistiques et constats :
Selon une étude réalisée par la Fondation de France en juin 2013, 39 % des Français n’ont aucun lien suivi avec leur famille, 37 % n’ont aucun lien avec leurs voisins, 25 % n’ont aucun ami [3]. De plus, 53 % des Français n’ont pas d’activité professionnelle (retraite, formation, chômage, inactivité) et donc pas de collègues de travail.
Pas moins de 5 millions de gens n’ont aucune de ces cinq catégories de personnes dans leur entourage. Elles n’ont ni amis, ni famille, ni collègues, ne connaissent pas leurs voisins, et ne fréquentent personne via leurs loisirs ! Autrement dit, elles sont seules, seules, seules.
Or, ce phénomène connaît une dramatique augmentation depuis 3 ans : le nombre de personnes de moins de 40 ans frappées de totale solitude a doublé depuis 2010. Le nombre de personnes de plus de 75 ans touchées par l’isolement a augmenté de 50 % depuis 2010 !
Comment s’étonner que se multiplient les cas où des personnes âgées sont maltraitées dans des instituts pendant des années sans que personne ne s’en aperçoive, ou que des cadavres soient découverts des mois ou des années après la mort, dans des appartements où personne ne s’était aperçu qu’il n’y avait plus de vie ?
Nous assistons à une véritable implosion sociale, porteuse d’infinies souffrances pour les victimes car la solitude absolue est une des plus terribles choses qui puisse arriver à un être humain.
« L’homme est un animal social » disait déjà le philosophe Aristote au Ve siècle avant Jésus-Christ. « Il n’est pas bon que l’Homme soit seul » est-il écrit dans le Livre de la Genèse, qui date de 750 avant Jésus-Christ.
Et malheureusement, comme d’habitude, il n’y a aucune recette miracle, aucune solution simple et rapide à proposer. La seule issue est la méthode des petits pas. Chacun à notre niveau, nous pouvons essayer d’améliorer la situation là où c’est possible, c’est-à-dire dans notre entourage et dans notre propre vie, en étant attentif, en étant prévoyant, en évitant de se laisser piéger par la solitude.
Jean-Marc Dupuis
Chroniques dans L’ Intégrale Santé Naturelle (J.-M. Dupuis, 2013, SNI éditions, 384 p.) disponible ici (lien cliquable). https://santenatureinnovation.net/ISN01/ESW1P801/index.htm?pageNumber=2
Pour terminer, j’ai le goût de partager cette histoire particulièrement touchante :
Réduire le handicap à une seule compensation financière, fût-elle conséquente, c’est enfermer la personne dans un cadre administratif en lui déniant le moteur fondamental qu’est la relation avec autrui. C’est ce dont témoigne une jeune femme handicapée qui avait reçu une somme importante de son assurance. Sophie s’était installée dans un studio, aménagé pour répondre à son invalidité, et bénéficiait des aides dont elle avait besoin. Pourtant, elle nous confiait qu’elle n’était pas heureuse: « Toutes les personnes qui se déplacent pour me voir sont payées pour le faire ». La gratuité de la relation et de l’échange qui ne soient pas la résultante d’une obligation professionnelle avait disparu, et avec elle, le goût du bonheur.
Lorsqu’on a été mis au ban de la société, la seule chose essentielle, c’est l’Autre.
Extrait du livre : Tous intouchables?, p.28
Liens-ressources :
Maisons Simon de Cyrène, en France
http://www.simondecyrene.org/vivre-ensemble/des-maisons-partagees-fondees-sur-le-sens-de-la-vie.html
Maison Martin Matte au Québec : http://www.fondationmartinmatte.com/hebergement/