Quel périple que d’admettre que j’ai maintenant cette difficulté à marcher, qui m’a d’abord obligée à me servir de béquilles pour me déplacer, puis ensuite d’une marchette. Ce n’est qu’après plusieurs mois d’encouragements sérieux et d’invitations et d’explications de la part de professionnels de la santé que j’ai finalement accepté d’utiliser une marchette. Ça me repoussait au plus haut point !!! Ça nous classe instantanément dans une catégorie à part : les invalides. Les béquilles sont moins menaçantes: elles sont temporaires. Avec des béquilles, les gens sont d’une gentillesse : soit ils se sentent tout de suite interpellés et font tout pour aider, pour ouvrir les portes, laisser leur place dans la file au supermarché, ou bien ils te racontent comment ça leur est arrivé à eux ou à leur fille ou leur grand-père. Ou ils réagissent simplement normalement. Comme si c’est dommage, mais normal : un accident peut arriver à tout le monde.
Mais quand on nous voit avec une marchette, là on atteint un autre niveau… que les gens ne peuvent simplement pas envisager pour eux-mêmes. Enfin, c’est à mon sens ce qui explique le mur, ou à tout le moins ce malaise à nous regarder dans les yeux. Difficile. D’abord pour moi, d’accepter cet instrument, d’une laideur, qui me donne une démarche saccadée, incertaine, lente… et remarquée!!! Moi qui aimais pouvoir marcher d’un pas assuré, où et quand je souhaitais ! Et surtout d’un pas normal !
Il est vrai que ça me manque de prendre des marches, surtout en nature l’automne, ou dans la neige l’hiver. Et de sentir les muscles travailler, et tout. Mais je crois que là où le bat blesse particulièrement, c’est l’image. Dur d’être maintenant regardée comme si j’étais différente, handicapée. La réaction qu’un bon ami du cégep a eue en me revoyant par hasard après plusieurs années, avec ma marchette, m’a fait tout drôle : il me regardait dans les yeux et n’osait pas du tout regarder la marchette. Il parlait sans arrêt de ce qu’il était devenu. Je sentais chez lui un grand malaise. Et je trouvais difficile de ne pas pouvoir lui partager aussi comment ma vie a évolué depuis le cégep. Les défis de la SP et autres, mais aussi les choses que j’ai accomplies, contre toute attente ! Mais au fond, est-ce vraiment si important, le paraître? C’est fou, comment on accorde tellement plus d’importance au « faire » qu’au simple « être ».
Et puis me voilà maintenant bel et bien confrontée à une nouvelle étape, celle du ouf, du fauteuil roulant. Si difficile à accepter ! Je ne l’utilise pas à la maison : parce que j’en ressens pas le besoin, parce que je veux maintenir ma capacité à marcher, mais aussi parce que ce n’est pas adapté chez moi. Comme mon fauteuil roulant motorisé est dans le garage de mon bon ami et que je n’y ai pas accès directement, je l’utilise seulement à l’occasion. Je dois m’habituer à le manœuvrer.
Il me faut aussi apprendre de nouvelles façons d’entrer en contact avec les gens. Je sens que le fauteuil met un mur. On dirait que je me sens totalement différente, dans un autre monde où l’on ne me regarde plus de la même manière, qu’on ne me voit plus (je sais, je me rappelle d’un temps, où avant mon diagnostic, je ne voyais juste pas les gens en fauteuil roulant. Comme s’ils n’étaient plus partie de cette course folle, et ne me paraissaient donc plus visible… en fait, je ne sais trop…).
Vulnérabilité. Wow, quel chemin ! On nait vulnérable, et on nous accueille, nous embrasse, nous chouchoute. Puis vite, on perd cette innocence qui nous rendait libre… et heureux! Et capable de rire, chanter, danser, aimer sans ce souci de la perfection, sans cette peur tenace d’être jugé et rejeté ! Je sais que mon propre sentiment de ne pas être à la hauteur ou d’être indigne d’être aimée me coupe l’herbe sous le pied, et me paralyse tellement !
J’ai demandé, et je demande encore à la Vie de m’aider à accueillir cette vulnérabilité, et puis pouf! Elle me fait un ptit clin d’œil, l’air de dire : « be careful what you are wishing for ;o) ».
Ne serais-je pas comblée de tout ce dont j’ai besoin pour retrouver cette vulnérabilité? Si la marchette a « frappé fort », je ne m’imaginais pas à quel point l’adaptation à un fauteuil roulant, même à temps partiel, serait tout un défi !
Ni l’attente d’un logement adapté! Un autre des nombreux thèmes sur lequel il y a tant à dire, j’y reviendrai.
Peut-être que la perception des gens sera différente quand j’arriverai à poser sur moi ce regard aimant sur l’être vulnérable, « infirme », invalide que je suis. Mais aussi sur cette jeune femme coquette, têtue, passionnée à mes heures, battante, en quête de communauté, d’entraide et d’éternité.