Flammèches

Quessé tu veux j’te dise

Scène d'automne

Roch, mon voisin d’en face, traverse le gravier du chemin Pilon pour venir jaser. Un rituel annuel, quand l’un et l’autre traînent dehors à faire des riens, juste pour être dehors.

Le soleil baisse. Les arbres sont en couleurs. Le temps est bon, même si le fond de l’air est frais. Un cadeau du ciel en cet automne autrement sombre, froid et humide.

Roch, mon voisin d’en face, traverse le gravier du chemin Pilon pour venir jaser. Un rituel annuel, quand l’un et l’autre traînent dehors à faire des riens, juste pour être dehors.

  • T’as fais faire tes fenêtres, à ce que je vois.
  • Ouais, après 23 ans, c’était dû…
  • Moi aussi j’ai fait faire les miennes, en juin, non juillet. Dix ouvertures, non 11. Même au sous-sol. Des fenêtres encastrées dans le mur de béton. Y niaisent pas, ces gars-là. Y savent ce qu’ils font.
  • Ouais, y passent autant de temps dans la finition que…
  • Tu sais que j’ai pris ma retraite.
  • Ah bon…
  • Le 1er septembre. Un mois passé. 31 ans comme pompier, c’est assez. J’aurais pu attendre un autre 4 ans, mais 62% de mon salaire, c’est bon en masse.
  • 31 ans déjà…
  • Les meilleures années sont en arrière. Y sont pas corrects, les mikmouks d’en haut. Y vont avoir de gros problèmes de stress pis de burnout sur les épaules. Y veulent remplir toutes nos journées dehors avec des inspections pis de la formation. Mais les feux, les accidents de route eux autres, y font pas du 9 à 5. Ah non, j’en avais assez. Mon père m’a dit : sors de là, la vie est trop courte. Mon père est mort, tu sais, le 17 mars.
  • Ah, j’savais pas, mes condoléances…
  • Y est tombé malade dans le temps des fêtes. Je l’ai amené à l’hôpital le 26 décembre. De l’eau dans les poumons. Avant c’était le cœur. Je m’occupais de lui, ma sœur est à Windsor. J’ai dit à ma femme pis à ma fille: on a deux chevaux pis vous êtes deux, occupez-vous en. Moi j’m’en vas m’occuper de mon père. J’y allais à 8 heures le matin, pis je r’venais à 9 heures le soir. Ma mère faisait les nuits avec lui. Ouin, j’ai pris deux mois de congé pour m’occuper de mon père. Y a travaillé dans la construction toute sa vie, pis 20 ans de retraite. À 70 ans, y m’a aidé à construire ma grange. Y arrivait à 6 heures et demi du matin pis y m’réveillait pour aller travailler. J’y ai dit : wô les moteurs. Toi tu lâches à 3 heures, mais moi j’continue jusqu’à la noirceur. Calme-toi pis laisse-moi l’temps de déjeuner… À la fin y pouvait pu parler, mais moi j’savais qu’il comprenait tout. Quand tu y posais les bonnes questions de la bonne façon, y pouvait répondre en hochant de la tête. Y est mort le 17 mars, le jour de la Saint-Patrick. Y a fait exprès, y voulait pas qu’on l’oublie… Après ça j’étais pu capable d’aller travailler. J’suis allé voir mon boss pis j’y ai dit : I’m out! Drette de même. Y dit : T’es-tu sûr? J’y ai dit : Yes sir! Vous me r’verrez pu icitte. J’ai quand même continué jusqu’à la fin août pour être correct avec eux autres. Quessé tu veux j’te dise … Tiens, c’est ma fille qui arrive. J’vas aller m’occuper des chevaux. Elle aime ben monter son cheval en r’venant de l’ouvrage. Pour se changer les idées…
  • C’est ça, vas-y Roch, avant que le soleil se couche.
  • Faut ben que j’m’occupe d’eux-autres, quessé tu veux j’te dise. Salut.
  • Salut Roch.

Puis je suis vite rentré transcrire les propos de mon voisin, avant de les oublier.

L’image est de Adobe Stock, modifiée par Stephanie.

2 réponses

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Billets aléatoires

Réseau Le Petit Parc