Un remontant ou deux

« Est-ce que j’avais des livres à recommander comme “remontant” ? » m’a-t-on demandé.

Il n’y a pas si longtemps, mais le temps passe vite aujourd’hui, Diane la divine me demanda si je pouvais lui recommander un « remontant », les temps étant ce qu’ils sont. Tout flatté de cette demande, je me suis empressé de lui recommander le Dictionnaire des postures amoureuses de Jacques Cottin chez Picquier Poche, délicieux petit ouvrage pour les gens de mon âge qui peuvent enfin baiser en paix et qui trouvent l’hiver long. Il s’agit d’un recueil de passages provenant de traités sexuels des siècles passés et qui relatent les positions et propositions amoureuses qui ont eu cours à un moment donné quelque part sur la terre. Vous y découvrirez des centaines de figures comme le baiser à la Mecque, le nayk férié de la balançoire, le chasse au moineau, le parfait contentement et le larcin d’amour, où Mme Petitémou joue un drôle de tour à Mme Grozédur. Il n’y a rien à craindre, il n’a de dictionnaire que l’ordre alphabétique et ses centaines d’entrées sont autant de petits interludes à lire au gré des pages. À lire entre quat’z’yeux.

Il y a un mois, je lui aurais dit, « Diane, divine Diane, si tu cherches à mettre un petit peu de piquant dans ta vie, penche pour les plaisirs éprouvés du petit Picquier poche de monsieur Cottin. » Mais voilà que le printemps est arrivé et je n’ose plus lui parler de ce petit dico de 434 pages. Non, aujourd’hui, si j’avais à recommander un petit remontant, ce serait plutôt de se précipiter sur Carnets d’un moine errant, les mémoires de Matthieu Ricard. J’en savoure un chapitre ou deux par jour, le midi avant de retourner travailler. C’est comme prendre un petit bain d’ailleurs. Ça me calme terriblement. Ce soir, j’ai été transporté au Bhoutan. Par moment, j’ai l’impression d’être dans un roman de Jules Verne, tellement tout vient d’un autre univers. Ici, par exemple, le Palais de grande félicité du palais royal du Bhoutan, où séjourne le maître spirituel de Matthieu Ricard, Dilgo Khyengé, pour des cérémonies annuelles :

« En dehors des cérémonies, il régnait un silence rarement perturbé en ces lieux. Les conversations se tenaient à voix basse et l’on marchait à pas feutrés sur un plancher fait de longues et larges planches équarries à la main qui luisaient comme des miroirs. Les serviteurs de la reine lustraient quotidiennement le sol avec les feuillages d’une plante odoriférante qui leur conféraient une brillance parfaite et une élégante couleur rouge sombre, tout en laissant planer dans les pièces un subtil parfum de sous-bois. » (p. 204)

C’est écrit comme ça tout le long, toujours le petit détail dans une langue qui coule et déborde de joie. C’est facile à lire, même quand c’est compliqué. Sans m’en apercevoir, je découvre les pratiques et cérémonies de certaines écoles de bouddhisme tibétain. C’est relativement facile à saisir pour l’ancien catholique que je suis, surtout que Matthieu Ricard est un grand pédagogue et que le glossaire vient invariablement à mon secours. Voici, par exemple, la cérémonie de la pratique de la longévité :

« Au cours de cette cérémonie, les participants se visualisent eux-mêmes sous la forme du bouddha de la vie infinie, Amitayus, et rassemblent en leur cœur la quintessence des éléments naturels et les bénédictions des bouddhas et bodhisattvas sous la forme d’une force vitale régénératrice. Ainsi, les pratiquants visualisent qu’ils extraient la quintessence de l’élément terre, celles des montages, des forêts, des plantes médicinales, de l’or et de toutes les pierres précieuses ; la quintessence de l’élément eau, celle des océans et de leurs puissantes vagues, des fleuves et cascades, et de la lune ; la quintessence du feu, la puissance du soleil et de l’embrasement qui marquera la fin d’un univers ; la quintessence du vent, la force des grandes tempêtes et du mandala du vent qui soutient l’univers ; la quintessence de l’espace, l’immensité infinie de la vérité absolue, la vacuité d’existence propre, nature ultime de tous les phénomènes. Sous la forme d’un nectar lumineux, ces quintessences se dissolvent dans le cœur du disciple qui se visualise sous la forme d’Amitayus. Ainsi, la force de vie est régénérée. Ensuite, le disciple offre cette quintessence de vie aux grands maîtres spirituels qui œuvrent pour le bien de tous, à des êtres chers, à des personnes malades et à tous les vivants. » (p. 206)

C’est tout un monde que je découvre, et moi qui arrive à l’âge où je commence à me demander si la sagesse va finir par arriver un jour avant que le reste de la mèche soit brûlé, je m’y abandonne avec mon émerveillement béat habituel. J’ai l’impression de lire un ouvrage qui va échapper au temps, le récit d’une vie exceptionnelle au XXe siècle du Moyen-Âge électrique, les siècles de folie collective du capitalisme. C’est une Odyssée des temps modernes, une quête spirituelle dans une des écoles de pensée pure les plus évoluées de notre espèce. Je n’imagine pas de vie plus intéressante. Que je puisse la vivre par procuration en quelque sorte est un méchant beau cadeau que Matthieu Ricard me fait, parce que comme vie, c’est une vie que j’aurais aimé avoir eu le courage de vivre.

Carnets d’un moine errant, mémoires de Matthieu Ricard, Allary Éditions

Dictionnaire des postures amoureuses, textes choisis et présentés par Jacques Cottin, Picquier poche

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