Retour sur La Pulpe

La brasserie Gallicus a nommé une bière La Pulpe pour marquer le 20e anniversaire des Rendez-vous de la bande dessinée de Gatineau (RVBDG). Mais c’est aussi le 50e anniversaire de La Pulpe, ce qui m’a mérité une invitation à la soirée d’ouverture. Voici ce que je n’ai pas dit, et que j’aurais dû dire, et que j’ai depuis transmis aux RVDBG en guise de remerciement pour cette invitation.

Je tiens à vous remercier de m’avoir invité à dire quelques mots lors de la cérémonie d’ouverture et surtout d’avoir incité la brasserie Gallicus à nommer une bonne IPA La Pulpe le temps des Rendez-vous. J’ai appris en vous observant sur scène qu’il vaut mieux avoir son texte sur papier quand on prend la parole devant une foule. Je vous envoie donc pour vos archives ce que j’aurais dû dire. Je n’ai pas été à la hauteur de l’occasion, car j’aurais dû vous raconter l’histoire de ces premiers jours, mais comme on faisait alors tout à la mitaine, et puis, petit magazine indépendant que nous étions, pensez-vous qu’on pensait qu’on allait penser à nous dans 50 ans et que nous savions ce que nous étions en train de faire, nous une bande de barbus et de blondes accrochés au petit navire Cinésources 10 que pilotaient Jean-Pierre Béland et André Sarazin en 1973.

Si mes souvenirs sont bons, et j’ai oublié beaucoup de choses depuis, c’est Luc Lafrance qui a proposé l’idée d’une revue d’humour outaouaise à Cinésources 10 dans le cadre d’un projet. Mais surtout, parmi la bande de barbus de Cinésources, il y avait manu, un espèce de petit volcan créatif qui produisait à tour de bras des illustrations et ce qu’on appellerait aujourd’hui des fanzines, mais des fanzines de rêve peuplés de petits philémons perdus, des publications qu’on tirait aux premiers temps sur une Gestetner. En 1970, la liberté d’expression, ça commençait avec une Gestetner. Pour les cellèses, comme disait feue ma mère, qui ne savent pas ce que c’est, une Gestetner, c’est une petite machine à imprimer, l’ancêtre des photocopieuses. En 1973, Cinésources 10 décide de faire deux choses au lieu d’une à peu près en même temps, et crée La Pulpe et le centre culturel La Sainte-Famille à Rockland en Ontario.

Du côté de La Pulpe, le premier numéro est tiré en format tabloïd sur papier blanc afin de bien rendre les dessins. Un dessin mal imprimé devient vite désagréable, le papier journal, bien qu’économique, boit trop l’encre. Les trois numéros suivants sur papier journal comportent donc un deuxième cahier sur papier blanc. Nous devions tout faire, trouver des kiosques à journaux prêts à nous prendre, livrer, collecter 5 $ ici et 10 $ là, La Pulpe se vendait 60 cents, si le kiosque en vendait 10, après la remise, c’était pas les gros chars.

J’ai fait un tour dans l’exposition de bandes dessinées québécoises de Bouquinart. C’est époustouflant. J’étais tombé dans la caverne d’Ali Baba, entouré d’ouvrages sur papier d’archive à 30 et 40 $. Pour une bd. Pour nous, à l’époque, une telle richesse et ce foisonnement de styles, d’œuvres et d’éditeurs de BD étaient tout simplement inimaginables.

Au fil des numéros, La Pulpe a réussi à avoir une production suffisante pour assurer la parution de neuf numéros en deux ans avant l’incendie. Cinésources 10 avait alors des bureaux sur la rue Saint-Patrick à Ottawa où en 1974, Denis Leclerc, Ricar et Alex ont passé l’été, leurs trois planches à dessin côte à côte, en train de rechercher le bon trait de Rapidograph ou de plume sèche à faire et à refaire les planches de notre âge d’or, si je peux me permettre l’expression. C’était un peu l’Atelier Mastodonte avant le temps, mais en vrai. Le succès, tel que nous le mesurions, c’était de pouvoir publier un autre numéro. La liste croissante de collaborateurs témoigne de notre intérêt. Le passage du format tabloïd au format magazine nous a été imposé par les kiosquistes, qui se plaignaient de l’égarement du deuxième cahier en papier blanc contenant les bd, le grand cahier renfermant les pages satiriques et les reportages. C’est pourquoi le quatrième numéro est plié. Au cinquième, nous passons définitivement au format magazine, mais notre maquette n’a pas tenu compte des repères de la coupe du papier. Ça fait pas tout à fait fini, mais c’est en faisant qu’on apprend, n’est-ce pas.

Bon, avec Denis Leclerc à la barre, les heures de gloire de La Pulpe. Les numéros 6 et 7 ont des couvertures de manu, qui imprime avec Jean-Pierre Béland de grandes affiches de 30 x 42 po dans l’atelier de sérigraphie de La Sainte-Famille. Dans la caverne d’Ali Baba, j’ai appris en lisant les pages consacrées à La Pulpe dans l’histoire de la BD au Québec en deux tomes que La Pulpe est la revue de BD DIY qui a publié le plus de numéros au Québec et que La Pulpe est aussi la première revue à avoir publié une BD érotique au Québec, Flora de Jacques Boivin, qui figure dans le numéro 8. Le numéro 9 voit l’arrivée des frères Poc et Yves Paquin, le nouveau rédacteur en chef qui succède à Denis Leclerc qui avait pris ma relève après le numéro 5. Un vent de nouveauté souffle sur La Pulpe. Cinésources 10 emménage trois portes plus loin, dans de nouveaux bureaux aux deuxième et troisième étages d’un immeuble au coin de Dalhousie et de Saint-Patrick dans la basse ville, organise des ateliers dans ses locaux, et où se trouve tout ce qui a à voir avec La Pulpe. Le lendemain matin, le soleil plombe sur le sac à déchets fermé, contenant les chiffons de nettoyage imbibés de solvants d’encre de l’atelier, laissé contre le mur après l’atelier. Le sac explose et emporte avec lui les archives de La Pulpe, tous les anciens numéros, les planches à paraître, les comptes, moi.

Par la suite, Jean-Emmanuel Allard rallie l’équipe le temps de produire le numéro double 10-11 pour satisfaire les exigences d’une subvention, puis François Poirier (Alex) tente de relancer La Pulpe en la rebaptisant Graf Iti, mais ce dernier numéro sur papier journal, sera notre chant de cygne. Aujourd’hui, il ne reste de La Pulpe que les exemplaires dans quelques bibliothèques et collections.

Ce petit hommage de la brasserie Gallicus et des RVDBG est peut-être le petit coup de pouce qu’il nous fallait pour faire revivre La Pulpe dans le nouveau petit navire que les ex-barbus et blondes de Cinésources 10 se sont donné, lepetitparc.ca. C’est là que l’on retrouvera l’histoire illustrée de La Pulpe. J’espère vous y retrouver.

Enfin, il y avait dans la salle trois autres personnes qui ont participé à La Pulpe, Yves Rochon, Jany Lavoie et manu. J’aurais dû les inviter à monter sur scène avec moi, mais je n’y ai pas pensé. My bad. La Pulpe a été une réalisation collective des gens dont les noms figurent dans les numéros. Je vous remercie sincèrement de m’avoir donné l’occasion de raconter cette page d’histoire de La Pulpe. Vive La Pulpe et vive les RVBDG.

3 réflexions au sujet de “Retour sur La Pulpe”

  1. Luc Lafrance enseignait les arts plastiques à mon école secondaire (je sais, tout ça ne vous rajeunit pas !) Il avait l’enthousiasme contagieux et La Pulpe occupe dans ma mythologie une place aussi grande que l’épopée de Gilgamesh ou la Chanson de Roland. C’est un ouvrage fondateur. Une revue de bd faite chez nous, c’était quelque chose.
    Vive La Pulpe !

  2. Quelle belle histoire, Gilbert. Et vraie en plus. Honnêtement, je n’avais pas fait le lien entre La Pulpe et Le Petit Parc, et pourtant… À l’époque, on ne se posait pas beaucoup de questions, genre Pourquoi? Pour qui? Il y avait un besoin urgent de faire et de dire, ensemble, dans un Outaouais sans frontières. Ce fut fait et ça se fait encore. Merci de l’avoir si bien exprimé.

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