Le Codicille de la nation

C’est pas toujours facile d’être un truchement. Je suppose que c’est surtout parce qu’on s’imagine que l’on comprend mieux que les autres pour commencer, le mot clé de cette phrase étant imagine. Belle chanson, de feu John que je me prenais au sérieux à imiter l’allure sinon l’air dans mon jeune temps, cette chanson qu’on voudrait plus qu’aucune autre entendre alors que Poutine lance ses bataillons vêtus de noir pour mater l’Ukraine. Le pire est à venir. Dans Le Monde de ce matin, le grand traducteur de Dostoïevski, André Markowicz les décrits :

C’est pas facile de penser que c’est un délire nationaliste qui nous mène vers l’abîme. Il y a dans la logique du nationalisme une volonté d’imposer coûte que coûte sa volonté sur l’autre. Et il suffit qu’il y en ait un, plus ambitieux et plus futé que les autres, qui sait se faufiler au service de tous pour se retrouver au centre de tout pour tout contrôler, que voilà, un fou se trouve pris dans sa logique de fou. Et sa seule façon de s’en sortir, c’est de dire que la nation est menacée et qu’elle risque de périr si l’on ne mate pas les résistances.

Pas toujours facile d’être un truchement, je disais donc. J’ai appris à traduire en traduisant le catalogue chez Canadian Tire. C’est un bon endroit pour apprendre des mots et la précision. Un jour, j’ai signalé à un rédacteur anglophone une erreur qu’il avait faite. Britannique d’origine, il n’avait pas beaucoup apprécié que le dernier arrivé du service de traduction vienne corriger sa prose. A native speaker would understand, m’avait-il asséné. J’étais resté interloqué. J’étais jeune.

Cela ne m’a pas empêché de continuer à vouloir faire le smatte et à signaler à mes clients les petites erreurs qui se faufilent dans les textes que j’ai à traduire. La plupart d’entre eux apprécient, car on soigne son image aujourd’hui. Toujours est-il que je me suis retrouvé à lire le projet de loi 96 qui veut faire du français la langue officielle du Québec afin de voir si cette déclaration avait une incidence sur mes clients. C’est toujours intéressant un projet de loi qui impose des contraintes linguistiques à une population.

Je n’ai pas trouvé grand-chose qui avait une incidence sur les services à ma clientèle, mais j’ai quand même tiqué quand je suis tombé sur cet amendement au bas de la page 85 :

L’erreur est particulièrement étonnante dans un projet de loi du Québec, province habituellement très sourcilleuse du respect des compétences constitutionnelles. Mais il faut croire que SJB, le ministre de la Justice du Québec, n’a manifestement pas peur du droit.

La rédaction d’une loi suppose le respect d’une foule de conventions pour que la loi puisse avoir une valeur juridique. La première est certes celle qui veut que seule l’autorité qui a rédigé la loi peut la modifier. Queen’s Park ne peut pas, par exemple, modifier une loi de l’Assemblée nationale et vice versa. C’est ainsi que la paix règne dans la nation. Une autre de ces conventions veut que quand on propose de modifier une loi, il faut indiquer le nom exact de la loi visée.

Or, le texte de l’amendement propose de modifier une loi du Royaume-Uni. C’est ce que signifie (R.-U.) dans le libellé. Détail, la Loi constitutionnelle de 1867 n’existe pas au Royaume-Uni. Il y a une Constitution Act, 1867, anciennement la British North American Act, 1867, qui a créé le Canada en réunissant quatre colonies britanniques, mais on pourra chercher de midi à quatorze heures dans les lois refondues du Royaume-Uni, jamais on ne trouvera de Loi constitutionnelle de 1867. Cette loi est tellement britannique qu’elle n’a une valeur juridique qu’en anglais. Le préambule de la Codification administrative des lois constitutionnelles de 1867 à 1982 du Canada est clair à ce sujet :

Autrement dit, SJB agit tout en sachant qu’il n’a pas l’autorité pour agir. Normalement, on est vite à dénoncer des gouvernements nationalistes qui imposent des contraintes sur leurs minorités, surtout lorsqu’ils tentent des coups constitutionnels, parce que c’est ce que l’on tente de faire lorsqu’on se propose de modifier une constitution dans passer par sa formule d’amendement

Heureusement, moi qui ennuyais mes connaissances depuis des mois avec les ramifications de ce coup de force constitutionnel, je me suis senti rassuré en lisant une analyse de Denis Lessard dans La Presse samedi dernier qui révèle que SJB planche sur une constitution du Québec. J’ai appris que certains trouvent que c’est une très bonne idée de pouvoir modifier la constitution comme il propose de le faire, sauf qu’on est pas mal sûr que « ça n’a pas de valeur interprétative susceptible d’orienter le verdict d’un tribunal ». Autrement dit, ce ne sont que des paroles en l’air. SJB peut faire ce qu’il veut, ce n’est que du théâtre pour fidéliser et polariser l’électorat francophone de la CAQ.

J’ai été soulagé, parce que pour que l’amendement 159 ait force de loi, il faudrait qu’il soit adopté en anglais à Westminster. Moi, ça me fait mal de penser qu’avec la manigance constitutionnelle que propose SJB, ce n’est que si elle est déclarée en anglais que le français pourrait être la langue commune et officielle du Québec dans la constitution du Canada. Belle traitrise de colonisé s’il en est.

Comme, en fin de compte, l’amendement ne peut être qu’une fanfaronnade, un pied de nez à la constitution de la part d’un politicien qui rêve de faire régner le droit de la nation au Québec, j’ose croire que le pire sera évité et que nos politiciens n’ont pas trouvé un sortilège pour modifier à volonté la constitution du Canada. Parce que ce n’est pas tellement ce qui se produit au Québec qui m’inquiète, c’est ce que peuvent en faire des politiciens futurs de l’Ontario tentés de réduire les services aux francophones en déclarant l’anglais la seule langue officielle de la province simplement avec une majorité parlementaire, comme se propose de faire SJB.

Comme la plupart des gens, j’ai sous-estimé la folie nationaliste du petit homme qui veut redorer le blason d’une nation qu’il imagine victime d’attaques de toutes parts. Il faut toujours se méfier de ces hommes qui rêvent de gloires passées et qui se sentent lésés de ne pas être écoutés.