Savoir que l’on n’a rien à ajouter et rien à contribuer au grand dialogue de sourds national. Défendre un principe pour l’amour du principe. Comprendre que je suis d’abord et avant tout Canadien, c’est-à-dire, une personne qui aspire à surmonter les obstacles qui nuisent à la compréhension entre les gens et à la pérennité de la planète. Bien que je sois francophone d’origine francophone des deux bords depuis le XVIIe siècle et dieu sait depuis quand avant ça au vieux pays de Rimbaud et que je sois en faveur des mesures de promotion et d’utilisation du français, je trouve très inquiétant qu’une province puisse suspendre les droits constitutionnels en principe irrévocables de la citoyenneté canadienne, notamment celui d’utiliser une langue officielle du Canada, dans le but de forcer l’assimilation linguistique d’immigrants et d’obliger les membres de la minorité linguistique officielle de la province de présenter une documentation d’ayant droit pour transiger avec leur administration provinciale.
N’en doutons pas, la loi 96 vient tuer les droits des minorités linguistiques des autres provinces, car ces dernières gagnent avec ce stratagème fumiste d’« amendement » d’une loi britannique de 1867 la possibilité de noyer une modification constitutionnelle dans un projet de loi omnibus. On vient d’inventer la carte Get Out of Jail Free à l’intention des provinces désireuses de comprimer voire supprimer les services publics en français de nous, les francophones hors Québec (à l’exception du Nouveau-Brunswick où l’anglais et le français sont les langues officielles). Merci Québec. C’est une bien belle traîtrise, une trahison de l’acte de fondation du Canada et de la nation canadienne française, qu’a concocté le petit paon parti pavaner en sauveur de la nation devant l’Académie.
Je comprends que la stratégie fédérale soit de laisser le Québec passer sa crise d’adolescence en faisant des concessions dans l’espoir que la bonne entente finira par l’emporter quand on va arrêter de se prendre pour le nombril du monde. Les conversions récentes de souverainistes au caquisme où on assume sa différence n’augure rien de bon, et je crains pour l’avenir de la fédération canadienne. Les deux solitudes ne se sont pas rapprochées au fil des années. Je regarde la Fête nationale de Montréal sur ma tablette. À l’arrière-plan des prestations il n’y a que le Québec dans la mappemonde de la planète. Bye bye Canada français. Dans le nous du Québec caquiste, il n’y a plus d’anglais. On ne l’applaudit plus que dans la novlangue des rimeurs et rappeurs de l’heure.
Remarque que je ne suis pas particulièrement inquiet pour l’avenir du français ni pour celui de La Nation, ma municipalité. En supposant que nos politiciens futurs résistent à la tentation d’adopter une langue officielle provinciale, sise comme elle l’est en Ontario entre Montréal et Ottawa, la région est appelée à devenir un intermédiaire où on travaille en anglais et en français sans craindre la délation et les perquisitions de l’OQLF. Il faut toujours quelque part un truchement pour faire le pont entre les solitudes. Et truchement que je suis, me voici au cœur de la nation canadienne-française prêt à répondre à l’appel de la terre promise unilingue en face de moi. Faut être optimiste dans la vie quand on fait partie de La Nation.
C’est une belle journée en ce début d’été, il reste mille et une choses à faire dans le jardin, mais le plus urgent – le désherbage des carottes – est fait, ce qui me donne le temps d’une saucette dans La Grande Grammaire du français, dit la GGF. C’est un ouvrage assez imposant, très intéressant pour qui comme moi s’amuse de métalangues. L’ouvrage commence par une description du français et de ses variations et ne voilà-t-il pas que je lis ceci :
« Au Canada, on distingue en effet le français laurentien, parlé le long du fleuve Saint-Laurent, depuis l’Ontario jusqu’au Québec, et le français acadien, parlé dans les provinces maritimes (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard). »
Françoise Gadet, « Qu’est-ce que le français », dans Anne Abeillé et Danièle Godard (dir.), La Grande Grammaire du français, Arles, Actes Sud/Imprimerie nationale Éditions, 2021.
Je ne le savais pas. Du point de vue scientifique des linguistes du monde, dans le catalogue des variations du français, le mien est ni canadien ni québécois mais laurentien. Ravi tel monsieur Jourdain qui découvre qu’il parle en prose, je me réjouis d’apprendre que mon français est laurentien, ce qui, à bien y penser, n’aurait pas dû trop me surprendre, mon autre prénom étant Laurent.
Je continue donc en français laurentien, ni canadien ni québécois, fier d’être l’autre que je suis.
Français laurentien ? Eh bien, je suis content de l’apprendre. Moi, je suis inquiet pour la survie de mon français, laurentien ou outaouaisien, comme vous voudez bien le qualifier. Suggestion de question pour le prochain recensement : « Parlez-vous à la maison celle des deux langues officielles qui est facultative à l’extérieur ? »
Et puisque nous parlons de cours d’eau, rappelons qu’un auteur (sérieux) avait (sérieusement) proposé de nommer l’Est ontarien, coincé entre le Saint-Laurent et l’Outaouais, la « Mésopotamie ontarienne ». Je crois que c’était surtout en hommage à la tour de Babel, inspirée, comme on le sait, des ziggourats mésopotamiennes comme on en trouvait à Babylone.
Quoi de mieux en effet qu’une tour de Babel pour contribuer au grand dialogue de sourds national ? Tout est lié, même si personne ne s’entend.
Je ne crois pas m’eloigner trop du sujet du sujet en vous proposant deux articles parus samedi dans notre journal régional:
Un gouffre entre le français parlé et écrit
et Le franglais acceptable en milieu minoritaire
(Copier coller pour les retrouver).
Attention, Gilbert, tu es en train de devenir notre champion!
À propos du français acceptable.
Le bon parler français, c’est comme le code de la route. Personne ne le respecte, mais ce n’est pas tout le monde qui mérite une contravention.
Les peuples (ou leurs gouvernements), tout comme les individus, vont aveuglément piétiner les autres en cherchant à se «protéger». Le fondement d’une telle loi est simplement la peur — aulieu de célébrer ce qu’il y a de beau, de fort et de chantant dans la langue française, c’est le repli sur soi, sur tout ce qui est familier. C’est la construction de murs pour repousser l’«étranger». Ce sont de gros gestes de petitesse, qui ne font grandir ni personne ni la société. Pour progresser comme pays nous avons besoin de plus, pas moins, de diversité et d’inclusion.