Summum de la profession

Une autre madeleine : l’annonce d’un poste aux communications du Bureau du Conseil des ministres de l’Ontario

Occasion d’emploi au Conseil des ministres de l’Ontario envoyé par l’ATIO

Jeune truchement que j’étais, la possibilité de traduire pour le Conseil des ministres m’aurait paru comme le point culminant d’une carrière, car il y a quand même une hiérarchie dans le milieu de la traduction et traduire pour le premier ministre est le top du top.

Mine de rien, on croise du monde dans la vie. Jeune homme, j’ai connu un traducteur du Conseil privé du Canada à l’époque de Trudeau père. Il avait fait carrière à Montréal, était toujours bien mis et d’une grande culture. Il m’avait montré une biographie aux éditions de La Presse qui portait son nom. Dédé qu’on l’appelait. Son poste, c’était le summum de la profession me disait-il, aucune erreur n’était permise, on mettait au sens propre des mots dans la bouche du premier ministre et il ne fallait pas se tromper. Simple fonctionnaire à l’époque, je trouvais qu’il l’avait l’affaire, Dédé.

La dernière fois que je l’ai croisé, c’était à l’occasion de ses fiançailles. Il devait être dans la mi-trentaine et sa fiancée faisait partie du cercle de mes voisines. Dédé et moi étions sortis fumer et tout en parlant, il m’avait avoué qu’une chose le chicotait à propos de son mariage et de la fin de sa vie de garçon. Il craignait de se réveiller un jour et de se sentir short changed, expliquant qu’aucun autre mot exprimait si bien ce qu’il redoutait. Même les meilleurs perdent parfois leur latin, me suis-je dit.

J’ai souvenir d’un moment où je n’avais qu’un mot anglais pour exprimer ce que je ressentais. Je devais avoir huit ou neuf ans, c’était l’été et nous étions au chalet. Lors d’une partie de pêche, dans l’énervement d’une prise, j’avais échappé la canne à pêche que mon oncle m’avait prêtée en m’enjoignant de prendre bien soin de « sa rod ». Ce frère de mon père ne détestait pas les enfants, n’en ayant pas eu avec son épouse, la tante préférée des neveux et nièces qui était de toutes les parties sauf cette fois-là, ayant sans doute espéré connaître un petit répit en voyant sa bande de neveux s’éloigner de la boathouse le temps d’attraper un brochet ou deux.

À notre retour, penaud, je suis allé retrouver mon oncle. Il était à son petit établi où il nettoyait sa prise quotidienne.
Puis, as-tu attrapé quelque chose ? m’a-t-il lancé en me voyant approcher.
Non. mononcle. J’avançais lentement.
As-tu remis ma rod à sa place ?
Euh… non mononcle…
Où c’est que tu l’as mis ?
Je l’ai échappée pi elle est tombée à l’eau.
Comment ça « est tombée à l’eau » ?
Ben, Billy avait pogné un poisson puis il m’a dit de prendre le net pour venir l’attraper ça fait que j’ai lâché la rod pi elle est tombée dans l’eau, pi…
Mon oncle me regardait, je voyais bien qu’il retenait sa colère. J’ai dit le seul mot qui m’est venu à l’esprit.
Sorry
Sorry... sorry... a-t-il craché. Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ? Ma belle rod…  Il s’est détourné de moi. Je n’osais plus parler. « Va-t-en » a-t-il dit.

Le temps de retrouver les autres, j’ai cherché vainement un équivalent français pour ce maudit sorry qui avait tellement déplu à mon oncle. J’ai senti sans savoir pourquoi que c’était la faute du mot parce qu’il était en anglais. Mon vocabulaire était pauvre et j’avalais plus avidement les comics de Superman que les bandes dessinées de Tintin. Heureusement, le manque de vocabulaire est une carence qui se remédie par la lecture, ce qui dans mon cas voulait dire le Petit Larousse en français. Sauter d’un mot à l’autre dans ses pages, n’est-ce pas semblable comme activité à la lecture du fil d’actualités d’un réseau social. Dans les deux cas, on saute d’un sujet à l’autre, et jamais pour très longtemps. C’est ça le truc des madeleines, on part sans jamais savoir où ni comment ça va finir. Des fois, ça finit en queue de poisson.

1 réflexion au sujet de “Summum de la profession”

  1. Merci pour cette petite tranche de vie. Les souvenirs qui insistent pour ne pas disparaitre de notre mémoire ont certainement quelque chose à nous dire…

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