Tempête à l’horizon

Voilà que la tempête constitutionnelle menace d’éclater de nouveau au Canada. La banalisation du recours à la clause dérogatoire pourrait déclencher une crise constitutionnelle qui va ébranler l’échafaudage législatif des revendications nationalistes du Québec. Ça pourrait barder et on va voir de quel bois Justin Trudeau se chauffe.

Que se passe-t-il ? Le conflit de travail actuel en Ontario va déterminer le sort de la fameuse clause dérogatoire. La loi ontarienne est parfaitement légale, et ne peut donc pas être invalidée devant les tribunaux parce qu’elle suspend le droit de la contester. C’est ce que fait Québec systématiquement. Ses lois 21 et 96 imposent elles aussi des conditions de travail en se mettant à l’abri de la clause dérogatoire.

Or, il semblerait qu’il y aurait un recours possible pour invalider une loi provinciale : le gouvernement fédéral, estimant que la loi est contraire au bon ordre de la nation, peut « désavouer » la loi provinciale et ainsi l’invalider. Si ce recours existe toujours et surtout, si Ottawa choisit de s’en prévaloir car cela risque de déclencher une grave crise constitutionnelle, on verra vraisemblablement les gros joueurs Doug et François s’associer pour défendre le droit des provinces de faire ce qu’elles estiment désirables, et que les provinces sont des États dans la fédération. Surtout que François va devoir utiliser la clause dérogatoire pour donner un mirage de légalité à la future loi sur le serment au roi que SJB cuisine impatiemment.

La Presse ne sait tellement pas quoi en penser que ce matin, il faut aller chercher au fin fond des faits divers du Canada pour trouver une petite mention de la crise en Ontario. Le glas ne sonne pas encore pour les apologistes du caquisme qui devront réconcilier l’acceptabilité sociale québécoise avec celles des autres provinces, qui semblent enfin avoir compris la merveilleuse nature Get out of jail free du passe-droit qu’est la clause dérogatoire dans le grand jeu de Monopoly qu’est le Canada. Danielle Smith ne voulait-elle pas elle aussi se soustraire aux lois fédérales avant de devenir première ministre de l’Alberta ? Si l’Ontario réussit à imposer sa loi, qu’est-ce qui permet aux syndicats de croire que la CAQ n’y aura pas recours à son tour ? Que Pôpa n’oserait pas ?

Là, on risque de voir quelque chose de fort amusant, le rétropédalage des animateurs de radio, journalistes, éditorialistes et autres pelleteurs de nuages nationalistes qui vont essayer de convaincre la population québécoise que l’utilisation de la clause dérogatoire par François et SJB n’est pas pantoute pareille à celle du gros Doug. Compte tenu de la capacité de la population québécoise de vivre dans le conte de fées, je ne serais pas surpris qu’ils y arrivent, avec Infoman en dernier recours.

En supposant que ça ne passe pas sous silence et en supposant aussi qu’Ottawa intervienne… Si Ottawa n’intervient pas, les provinces n’hésiteront plus à adopter n’importe quelle loi qui enfreint les droits, il suffit d’avoir une majorité de député.e.s dociles. Surtout des lois qui, comme dans ce cas, suppriment les droits du petit peuple qui fait fonctionner notre société de commodité et d’abondance et qu’on ne veut surtout pas rémunérer à sa juste valeur.

Mais il est possible aussi que je m’inquiète pour rien, et que le recours à la clause dérogatoire se soit tellement banalisé que plus personne ne s’y oppose et que nos gouvernements agissent en toute illégalité, sans que ça dérange qui que ce soit. Alors, ne dérangeons plus personne nous aussi. La journée est belle et l’air est bon. Profitons de cet été béni des Indiens, 20 degrés le 5 novembre, pour se préparer à l’hiver.

3 réflexions au sujet de “Tempête à l’horizon”

  1. Durant les pourparlers constitutionnels circa 1982, un consensus de neuf provinces incluant le Québec, voulaient circonscrire le pouvoir de dépenser du fédéral. Pour contrer cette clause PET accepte à contre-coeur la clause dérogatoire et ainsi l’isolement du Québec. PET aurait pu oublié sa charte de droits et libertés. Les provinces avaient toute la latitude d’adopter une telle charte pour leur juridiction.
    La problématique de l’utilisation de la clause dérogatoire est un faux fuyant puisque aucune entente constitutionnelle digne de ce nom n’a encore été négociée de bonne foi. On répète sans cesse que le fruit n’est pas encore mûr, peut-être, mais la clause dérogatoire à frapper le mur qui était prévisible dès le début de cet infâme repatriation d’une constitution qui est incomplète.

    1. Tout d’abord, je précise que ma compréhension des événements entourant le rapatriement de la constitution en 1982, que j’ai vécu à 30 ans à Toronto, en amour pour toujours, les débats constitutionnels battant les tambours des journaux au coin des rues, moi courant après Martha and the Muffins et Johnny and the G Rays le soir, je les ai vécu en parfaite réplique de Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale. Donc, ma compréhension de ce qui s’est passé repose en grande partie sur le documentaire The Champions de Donald Cameron produit par CBC. Peu importe la provenance de la clause dérogatoire, sa présence risque de mener à une crise constitutionnelle, la banalisation de son emploi à des fins discriminatoires va mener tôt ou tard à une crise qui opposera la volonté d’une province de se comporter comme un État, tel qu’on l’entend aux États-Unis, et non comme une province, telle qu’on l’entend au Canada, à une confrontation avec le Canada, en tant qu’État fédéral. Quant à la préséance de la Charte des droits et libertés du Canada sur les lois des provinces, c’est la raison d’être même du Canada que l’on rejette quand on invoque la clause dérogatoire pour supprimer des droits de minorité.

      1. Lors d’un des rares entretiens intimistes avec mon père, je lui demandai s’il avait déjà lu un livre qui était à l’index. Il me répondu bien candidement qu’il avait lu Madame Bovary. Je me suis toujours demandé si ce jeune homme de Rockland High School aurais connu Flaubert si ce n’était de l’interdiction de le lire.
        La clause de dérogation est peut-être une tentative à une forme d’index?

        Je suis inquiet devant la tendance de voir nos lois assujetties de plus en plus à la cour suprême . Les juges sont nos nouveaux dirigeants et ces derniers ne sont jamais impartiaux à mes yeux puisque tous d’allégeance fédéraliste. Les dérives de la cour suprême lors du rapatriement de la constitution—voir ici les écrits de l’historien Frédéric Bastien— sont éloquentes.
        La notion des droits des minorités et les droits de la majorité québécois dans ce Canada post-national n’est pas une mince affaire, quoi qu’en disent nos détracteurs.

        Puisque je suis un souverainiste résolu, je suis indifférent à la survie de la fédération canadienne. Je partage la réflexion de plusieurs canadiens qui estime: que la quiétude et l’unité du Canada sans la présence du Québec serait bénéfique pour ce premier. Dans un tel scénario, serions nous témoin d’une loi Albertaine qui vise le refus de toutes lois d’Ottawa qui va à l’encontre des intérêts des Albertains? La première ministre albertaine évoquant les revendications du Québec pour soutenir ses propres initiatives législatives.

        Je conclu encore, avec mon argument initial. La constitution canadienne est illégitime. Seul le pays du Canada et le pays du Québec peuvent prospérer côte à côte.

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