Comme je suis bête de penser que j’arriverais à réécrire mes salades le lendemain. Alors voilà, une semaine et cinq heures plus tard, une petite page sortie d’une phrase, page que je ne peux relire sans vouloir la réécrire. Mais pari pris, pari tenu. Et j’espère que cette fois, il n’y a aura pas de coquilles.
Je l’avais rencontrée dans la navette Ottawa-Toronto d’Air Canada. Elle allait rencontrer un client. Je quittais la fonction publique. Elle m’avait donné sa carte. Je l’avais rappelée.
Elle venait de la Saskatchewan, s’était ennuyée après ses études universitaires dans une librairie communiste si peu achalandée qu’elle s’adonnait à des plaisirs solitaires pour passer le temps, m’avait-elle avoué un jour au lit. Puis, elle avait vu une annonce dans un journal pour des analystes de système. Grande, blonde, mince, intelligente, on l’avait embauché pour écouter, observer et faire preuve de logique. Ça, elle savait faire ça.
Nous nous sommes revus quelques fois au cours de l’hiver. Au début de l’été de 1979, elle m’appela pour m’annoncer sa visite. Elle voulait voir le manoir de campagne où je faisais l’ermite. Elle arriva fin juin. Elle portait une longue robe paysanne trouvée dans une friperie. Elle partait pour Chicago où elle devait faire une formation au cours de l’été. Je lui ai demandé si elle avait envie d’aller ramasser des fraises.
J’avais trouvé un clos dans la forêt tapissé de fraises des champs et bientôt, il n’y avait plus entre nous que le chant des insectes sous un soleil plombant pendant qu’accroupis, nous étions occupés à remplir nos paniers. Au bout d’un moment, elle se releva, trouva que c’était très curieux un hôte qui faisait ainsi travailler ses rares visiteuses. « Tu ne trouves pas qu’il fait trop chaud pour ramasser des fraises » me dit-elle en passant sa robe qui lui collait à la peau au-dessus de la tête. Elle était debout au soleil, véritable Vénus de Botticelli pour l’affamé que j’étais. Son ombre tombait sur moi. Je la regardais à contrejour, ébloui par le soleil qui auréolait ses cheveux. Elle étala sa robe fleurie sur le sol, se coucha et me tendit la main. Un oiseau chanta.
Elle était repartie le lendemain, m’abandonnant sa robe tachetée de rouge, me promettant de revenir chercher son pot de confiture à l’automne. L’été s’immobilisa pour laisser juillet respirer. Je chassais des papillons, mangeais des framboises et noircissais des cahiers. Mon ermitage devint peu à peu intenable et je ne cherchais plus qu’à fuir le manoir. Lorsqu’elle revint en septembre, mon angoisse était palpable. Elle me proposa une sortie. Elle avait une chambre vide dans son appartement à deux étages à Toronto. Elle était souvent en déplacement, serait rassurée de savoir qu’il ne serait pas vide pensant ses absences. J’aurais le temps et la paix qu’il me fallait pour écrire. Elle serait ma mécène. Nous serions des colocs, n’est-ce pas, chacun de notre côté. Je n’avais pas hésité. Encore une fois, une bonne fée se matérialisait et me sauvait de moi-même.