Les petites fautes des grandes machines

L’avenir des truchements n’est plus ce qu’il était.

Voici un exemple d’une erreur fréquente dans les traductions jaipétées et qui vient de l’incapacité du robot de saisir le sens implicite d’un énoncé, comme dans cet exemple où l’article indéfini an est rendu par l’article défini l’. Le segment provient d’une description de fonction :

Facilitate an organization of continuous improvement and high efficiency / Faciliter l’organisation d’une amélioration continue et d’une grande efficacité

Dans la construction anglaise, qui est représentative du jargon bureaucratique contemporain en ressources humaines, organization désigne une entreprise. Or dans la traduction proposée par notre ami Deepl, organisation a le sens d’une activité. Ce genre de passage entre l’indéfini en anglais au défini en français est un piège dont doit se méfier tout apprenti truchement.

La gent traductrice fait mieux de bien attacher sa tuque quand elle réalisera que les robots de traduction jaipétés viennent de rabattre le dernier rempart contre la banalisation du métier, dorénavant à la portée de tous et toutes et toutex. Le travail ressemblera de plus en plus à celui du premier millénaire, un travail répétitif, ennuyeux et invariable. Pour gagner sa vie comme truchement aujourd’hui, c’est faire de la postédition, c’est passer ses journées à corriger des traductions jaipétées à l’écran, un vrai métier pour finir bossu. Une profession d’avenir exotique, quand tout un chacun pourra traduire à volonté en pointant son téléphone.

Mais pour revenir à nos moutons, je suppose qu’en anglais, ce qu’on veut dire, c’est genre faciliter l’amélioration constante de l’entreprise et accroître son efficacité. Ce passage de l’indéfini au défini ainsi qu’entre le singulier et le pluriel est constant entre l’anglais et le français, du moins c’est ce que nous enseignent Vinay et Darbelnet si j’ai bonne souvenance, du fait que l’anglais est une langue plus imprécise et floue contrairement au français qui serait cartésien de nature, à ce qu’il paraît. Et puis moi qui avais toujours pensé que c’était juste les Anglais qui avaient la tête carrée. On en apprend des choses dans la vie. Entre le défini et l’indéfini et le pluriel et le singulier, devant un tel micmac de connivences et de sens, les systèmes neuronaux LLM (Large Language Model) à l’origine des traductions jaipétées de demain vont semer la zizanie de la mésentente à petites doses, comme ça, sans le vouloir, avec les meilleures intentions du monde et une bonne dose de cupidité capitaliste. Les truchements ont encore quelques belles années à vivre. It’s not dark yet, but it’s getting there.

2 réflexions au sujet de “Les petites fautes des grandes machines”

  1. Ouf, c’est décourageant. Et triste pour le français qui sera malmené. Mais moi j’ai besoin d’une traduction: c’est quoi jaipété en anglais?

  2. Oui, bien je suppose que pendant un certain temps, on continuera à appeler ça “robot translations” comme on le fait déjà, mais c’est sûr que d’ici dix ans, on prendra pour acquis que la traduction, comme tout ce que l’on verra sur des écrans, est faite par des logiciels IA et on ne verra plus le besoin de les qualifier de “robot” dans la langue de Shakespeare, ces « translations ». Il y aura des mouvements de respect des droits des machines, surtout si on commence à les taxer comme certains proposent de faire pour pallier la perte de revenus publics qui suit le remplacement des emplois par des robots. Pour ma part, si j’avais à traduire « traductions jaipétées », j’oserais « GPTshat translations » pour conserver le soupçon scatologique qu’instinctivement le vieux truchement espère relever dans lesdites translations. Et puis, si on ne veut pas taxer les robots, il va falloir qu’on paie les humains pour leurs données, qui seront la matière première de l’économie des métavers de demain. L’avenir va être super le fun, c’est sûr, mais tant qu’on aura un jardin à cultiver, la vie sera belle.

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