J’ai trouvé mon disque de l’année, Electric Fields de Barbara Hannigan, Katia et Marielle Labèque et David Chalmin.

Adolescent, je m’étais abonné au club de disques Columbia, n’ayant pu résister à la tentation de recevoir cinq disques pour le prix d’un et la promesse d’en acheter autant au grand désespoir de mon père qui trouvait que l’argent brûlait des trous dans mes culottes. Ce fut le début de ma discothèque. Je traîne encore quelques disques achetés à cette époque malgré les déménagements et dévalisements des décennies, des 45 et des 33 et des cd. J’en ai probablement plus de mille de ces totems de fidélité à des musiciens, moi qui refusait de faire des copies sur cassette ou de télécharger Napster par solidarité avec les musiciens et créateurs.
Homme prévoyant que j’imagine être, n’est-ce pas, et qui se dit qu’on ne peut pas passer 45 ans de sa vie à truchementer les autres sans finir par perdre le nord de temps en temps, ce qui fait que je me suis dit que si un enfant de trois ans peut maîtriser un smartphone, je devrais pouvoir le faire moi-aussi et de fil en aiguille, ma discothèque s’appelle maintenant Apple Music. Moi qui ai envie d’entendre chanter Barbara Hannigan depuis que je vois son nom à tout bout de champ, je vois un petit billet dans Le Monde du 30 mai qui signale la parution d’Electric Fields, où elle se retrouve en compagnie des sœurs Labèque et de David Chalmin. Dans sa recension, Le Monde décrit des morceaux qui varient de Hildegard von Bingen à des créations modernes, évoque « un album qui, par son électronique planante, rappelle beaucoup ceux de Pink Floyd » et conclut que le disque « déconcerte par ses envolées new age puis séduit par sa gestion hypermaîtrisée ». Et comme par hasard, je suis en train de lire la biographie ladite Hildegard par Émile Henri, une biographie comme je n’en ai jamais lue, et qui semble procéder par croquis biographiques de personnages secondaires dans la vie de cette extracéleste du Moyen Age.
Ce qui fait que deux et deux font quatre et hop je saute dans le pommier classique et l’espace d’un instant un bourdonnement au loin sort du haut-parleur et un autre univers s’installe comme la marée chez moi et je pars à la dérive, accroché comme un cerf-volant au fil de sa voix. Depuis, Electric Fields passe en boucle et je baigne dans cet univers, enveloppé dans le velours leur musique. Je ne sais pas parler de la musique, je préfère laisser la parole à ce quatuor qui conclut la notice du livret du disque : « Trouver un mot pour qualifier cet album de bout en bout est très difficile : il représente un nouveau départ pour chacun de nous. Il traverse les genres, avec des éléments de musique ambient et méditative ouvrant l’album – la voix de soprano chantant en plan-chant, accompagnée d’un simple bourdon — et ensuite une improvisation libre avec layering électronique… Electric Fields embrasse un large spectre, incluant aussi le post-minimalisme. »

La barre est haute pour qui voudra surpasser cette réalisation cette année.