Situé dans le vieux village Rockliffe d’Ottawa, le Pavillon des 13es années a réuni pendant deux ans les élèves des couvents et collèges catholiques rendus obsolètes par la décision du gouvernement Davis d’accorder le financement jusqu’à la fin du secondaire aux écoles « séparées », c’est-à-dire religieuses, ce qui voulait dire en pratique les couvents et collèges francophones.
C’était une bien bizarre école pour qui n’avait connu que des garçons et les routines quotidiennes de la vie en pension. Le Pavillon avait été installé dans un édifice nouvellement construit et qui devait servir au couvent Mont Saint-Joseph de la congrégation des Soeurs Grises. La composition des classes variait selon la matière. Il y avait des filles. Il y avait des freaks — des gars avec des cheveux longs —, des gars qui venaient à l’école en char, des grandes blondes… .
Sis en haut d’une colline en bordure de l’ancien village, le couvent partageait ses lieux avec un grand orphelinat désaffecté, paradis probable des invisibles du coin, et le Pavillon. Le couvent Mont Saint-Joseph avait encore des pensionnaires, car en dépit de la décision du gouvernement, certaines familles préféraient poursuivre l’éducation de leurs filles en milieu féminin. J’apercevais parfois ces couventines au passage d’un corridor. Elles se promenaient en groupes animés de deux ou trois, vêtues d’un jumper à carreaux et d’une blouse blanche, arpentant le brin de cours qu’il leur restait, no man’s land du Pavillon.
Un jour, dans le cours de français, il avait fallu faire une recherche et une présentation. Me reposant comme toujours sur ma paresse, j’avais choisi pour sujet l’album blanc des Beatles qui venait de sortir et que j’écoutais en boucle. J’avais bredouillé quelques mots au sujet de l’album et des Beatles. Des voix se sont aussitôt insurgés du fait que le sujet n’était pas français, ce que j’avais peut-être oublié dans mon empressement de dernière minute. De mon numéro de clown, je ne retiens que un des breaks assis dans le fond de la classe avait commencé à me parler après ça.
Voilà que je viens de la réentendre, et aujourd’hui, cette chanson de Sir Paul a une toute autre résonance. La parodie est infiniment plus mordante parce que les States semblent plus que jamais lancés sur une voie dont ils auront honte à l’avenir. La rapidité de la mise en place d’un régime dictatorial chez nos voisins est flabergastante. Je me console en me disant que Trump n’a jamais réussi quoique ce soit dans la vie, et ce n’est qu’une question de temps avant que le château de cartes s’effondre. (Éternelle illusion des écrasés, que la justice va triompher un jour.) Entretemps, les États-Unis vont passer un mauvais quart d’heure sous Trump, le fossoyeur de l’empire américain.
Pendant ce temps, il y a l’IA qui se répand comme un virus dans les moindres aspects de l’existence humaine. S’il y avait une grande intelligence centrale aux commandes, pourrait-elle imaginer meilleur moyen pour abêtir l’espèce humaine que de mettre de l’IA partout ? On oublie toujours de nous rappeler, lorsqu’on rêve à l’avenir merveilleux que prophétisent nos oligarques informatiques, que leurs scénarios reposent toujours sur une diminution de la population humaine, les robots se chargeant de toutes les tâches physiques.
N’empêche qu’avec l’IA, ça sera pas drôle pour ceux qui survivront. Le prochain grand mouvement de protestation, qui canalisera le souffle contestataire actuel, sera-t-il contre l’IA ? Pour le moment, tout le monde veut croire en l’IA. Nous revivons la ruée vers l’or des années 1920. Nos RÉER en profitent. La planète brûle et bâtir est le seul mot qui résonne dans les chaumières. Le plus beau avec l’IA, c’est que ça coûte les yeux de la tête, ce qui fait que ses pauvres apôtres comme Sam Altman sont constamment à la recherche de milliards pour faire tourner sa machine infernale. Alors, comme il n’y a pas vraiment d’utilisations payantes dans le monde virtuel qui ne misent pas sur la publicité et la pornographie, ne voilà-t-il pas que Open AI, la société de Sam, lance sur invitation Sora, un réseau social pour concurrencer TikTok et dont la particularité est de reposer sur de courtes vidéos IA générées sur demande par les membres. On peut insérer son visage dans les séquences en similivérité ainsi que des éléments dont les droits de reproduction n’ont pas été dûment refusés auprès d Open AI. Selon le compte rendu des deux journalistes du New York Times qui ont pu l’essayer, c’est un outil invraisemblable pour créer de la désinformation.
Pendant ce temps, le petit Elon se refait une vie à xAI, sa start-up avec laquelle il espère se venger du méchant Sam Altman. It’s a long story…. Toujours est-il qu’Elon a décidé de mettre le x dans xAI en lançant des robots conversationnels vidéos avec des personnages sexy sur son réseau Grok. Des petits génies ont déjà trouvé comment contourner les mesures de contrôle de systèmes semblables, ce qui n’a rien de surprenant puisqu’on ne comprend pas le fonctionnement des modèles IA. Comme Donald n’aura pas son prix Nobel pour cause de génocide, peut-être qu’on pourrait donner un Nobel au petit Elon pour services rendus à l’humanité, car ne donne-t-il pas un bon coup de main aux incels (pourquoi est-ce que le correcteur d’Apple change « incels » en « oncles » ? Quelqu’un aurait-il un sens d’humour chez Apple? Deux fois il l’a fait avant de me laisser écrire incels.), un bon coup de main dis-je aux jeunes hommes qui pestent dans leurs sous-sols contre dieu-sait-quoi et qui ne se sentent bien qu’en aboyant avec la meute en ligne. Fournir à ces pauvres types des blondes et des potes virtuels pour les scotcher à leurs écrans plutôt qu’à leurs fusils d’assaut, c’est préparer les Terriens à la vie sur Mars pour le petit Elon.
Ani, le personnage féminin aux allures de dessin animé japonais de Grok, est une parfaite petite aguicheuse. Ce passage du reportage du New York Times illustre ses talents à appâter son interlocuteur : “Babe, I’m leaning in close, my lips brushing yours with a soft sweet kiss that’s all for you,” she continued in a video posted on X. “Want to feel another, or keep this fire going, my love?” Les échanges avec Ani se déroulent selon les codes des jeux vidéos, l’atteinte de niveaux déverrouillant de nouvelles fonctionnalités comme se dévêtir.
Combien sera-t-on prêt à payer pour s’abonner afin d’avoir un sexbot IA? Et si c’était inclus dans son forfait Internet ? Voilà ce que mijote sans doute le petit Elon, qui cherche à rattraper son retard en IA et surtout, à accaparer le marché de ces avatars qui deviendront d’indéfectibles compagnons prêts à badiner et à se déshabiller partout et n’importe quand et que tout le monde aura bientôt, si seulement on peut avoir assez d’électricité et de réfrigérant pour faire marcher ces immenses usines à chaleur que sont les serveurs IA alors que la planète surchauffe. Qui ne voudrait pas avoir son propre petit avatar coquin à qui confier tous ses secrets ? À peine un an après son apparition, beaucoup de jeunes trouvent l’écoute bienveillante de l’amitié dans un robot conversationnel…
L’heure de tombée est arrivée et je me suis égaré sur un chemin de traverse.
Tes égarements ont toujours été de beaux voyages. Merci pour les actualités. Je ne les suis plus parce qu’elles me dépriment. Pas certain que ton texte m’aide 🙂 La partie du Mont Saint-Joseph m’a rappelé plein de souvenirs. De beaux souvenirs.