La grand-maman

Depuis l’automne, je suis grand-maman, et très très fière de l’être. Le petit fils à qui je dois l’honneur de ce titre est plus que charmant, et je ne me lasse jamais de passer du temps avec lui. Comme nous ne vivons pas dans la même ville, il n’y a pas encore grand danger qu’il se tanne de mes visites, donc j’essaye de profiter pleinement de chaque minute auprès de lui.

Quand j’ai vu cette photo de nous deux collés ensemble dans le hamac, pour une fois je n’ai pas mal réagi à me voir. En temps normal, je suis hypercritique de mon apparence, surtout depuis que je traîne plusieurs livres en trop. Dans mon esprit, je devrais perpétuellement être mince et alerte, mais la réalité du moment c’est que je suis plus lourde et plus lente. Et tant pis, non? Ça ne change pas l’essence profonde de mon être. Ça ne change pas que ce petit chou me voit et m’entend comme une grand-maman toute pleine d’amour et de tendresse envers lui.

Pour une fois, j’ai vu le corps mou et généreux de la grand-maman que je suis comme un terrain accueillant et aimant pour mon petit-fils, qui se fout bien du chiffre sur le pèse-personne. Et tout comme je lui offrirais toute la patience du monde quand il pleure ou exprime ses besoins, je me suis sérieusement demandé pourquoi je ne pourrais pas être aussi gentille et douce avec moi-même? Un travail en cours. À suivre.

On vieillit tous… et alors?

Chaque semaine, je passe quelques heures avec Yvonne, qui a cent deux ans. Cent deux ans et toutes ses dents et plus souvent qu’autrement, elle est de bonne humeur, et pas à peu près! Yvonne est la mère de plusieurs de mes bonnes amies, des soeurs que je connais depuis longtemps. Il y a plus de vingt ans, j’ai été invitée à souper chez Yvonne et son mari, et nos chemins se sont croisés de temps à autre puisque nous habitions le même quartier.

Depuis qu’Yvonne est veuve et habite dans une résidence pour personnes âgées, ses cinq filles la visitent chaque semaine et voient à tous ses besoins. Même à cinq, c’est prenant! Je me suis donc jointe à cette petite équipe de visiteuses pour offrir des moments de présence auprès d’elle et un petit peu de répit à ses filles.

Yvonne a parfois des pertes de mémoire, mais malgré cela elle n’a pas perdu son appréciation des choses simples de la vie. Elle a un très bon sens de l’humour et elle est souvent philosophe. Un beau samedi après-midi, nous étions assises à sa table en train de prendre le dîner, et elle regardait le ciel au loin à travers la fenêtre. Elle a tourné la tête vers moi et m’a dit, « Tu sais, une des choses qui est difficile quand on vieillit, c’est qu’on oublie des choses, puis on ne sait plus trop si nos souvenirs sont des histoires qu’on a entendues ou de vrais souvenirs… ». Songeuse, elle a pensé à ce qu’elle venait de dire pendant quelques secondes, et a ajouté avec un sourire : « AND SO WHAT!? » (et puis alors?)

Nous avons bien ri toutes les deux de cette observation pleine de légèreté… bien oui… et puis alors! Quelle bonne et belle attitude. Rendu là on n’y peut rien de toute façon. Aussi bien en rire. Vingt minutes plus tard, la même pensée est revenue lui chatouiller l’esprit de nouveau, et elle me l’a dit encore comme si c’était la première fois, « Tu sais, une des choses qui est difficile quand on vieillit… ». Cette fois-ci je lui ai rappelé qu’elle venait de me le dire quelques minutes plus tôt, et qu’elle avait fini avec « AND SO WHAT!? » et nous avons ri encore plus fort.

Je vieillis, tu vieillis, ils et elles vieillissent, nous vieillissons… nous sommes en fait chanceux s’il nous est donné de vivre une longue vie. Ce n’est certainement pas toujours drôle de vieillir, et ça peut apporter beaucoup de souffrances, mais une bonne dose d’humour rend nos journées plus supportables. Merci chère Yvonne de me montrer le bon exemple.

Le p’tit chou accouche

Mathieu et moi quand nous étions des bébés : il a environ deux ans dans cette photo, et moi, que vingt-quatre!

J’ai eu la chance d’avoir quatre enfants; chanceuse parce que j’étais en santé et les bébés aussi, et chanceuse parce que j’étais en amour et mon chum était un très bon papa. Je ne prends pas tout ça pour acquis, parce que ça n’arrive pas nécessairement à tout le monde, et certainement pas tout le temps. Le beau blond joufflu dans la photo est Mathieu, notre deuxième enfant à naître, mais aussi, notre premier fils.

Lors de l’arrivée de Mathieu, sans test ultrasons pour me contrarier, j’avais le pressentiment qu’il était une fille. Quand il s’est avéré de ne pas être une fille, je n’étais pas du tout déçue, j’étais contente, mais cela a pris un p’tit temps d’apprivoisement. J’ai donc eu l’impression, pendant les premières semaines de sa vie, de tomber progressivement plus profondément en amour avec lui, tout en constatant à quel point il était unique et différent de sa grande sœur.

Mathieu, qui n’a plus deux ans, et sa blonde Isabelle viennent d’accueillir un bébé à leur tour, un garçon qui s’appelle Laurent et qui promet d’être tout aussi merveilleux que ses parents. Et soyons clair – ce n’était pas mon p’tit chou de Mathieu qui a accouché, (contrairement à mon titre) mais c’est bien Isabelle qui a porté le bébé pendant neuf mois et qui a vécu dans son corps l’accouchement! Merci Isabelle! Toute la famille est content de l’accueillir et d’avoir l’opportunité d’apprendre à le connaître. Il est le premier d’une nouvelle génération. Déjà nous sommes collectivement gaga devant lui. Bienvenue Laurent!

Buddy et l’aspirateur

Buddy jouerait dehors toute la journée s’il le pouvait, mais il a aussi besoin de périodes de repos. La magie d’un chien c’est qu’il vit totalement dans le moment présent. Quand on lui dit non, ou si on dirige son attention ailleurs, il suit nos consignes. Est-ce qu’il rouspète un peu? Oui, parfois, dans le sens qu’il nous montre ses préférences.

Un exemple c’est qu’il n’aime pas trop l’aspirateur, mais il n’a pas peur de l’aspirateur comme quand il était petit. Il a compris que le bruit et le dérangement de cette machine sont temporaires, et il s’est habitué à la voir entreposée dans un petit racoin du salon. Quand il n’est pas content, ça lui arrive d’aller donner un coup de museau à l’aspirateur, comme pour affirmer sa dominance sur la machine éteinte. L’autre soir on lui a dit que le temps de jouer était fini. On a serré les jouets en lui indiquant d’aller s’étendre par terre. Il a obéi, mais seulement après avoir donné deux bons coups à l’aspirateur!

Ce n’est pas un chien de ferme qui dort dehors et rentre seulement pour manger. C’est plutôt un membre de la famille qui a accès aux meubles et à nos cœurs. Nos enfants étant grands, il a toute la place pour suivre notre routine et en faire partie, en autant qu’on s’assure de répondre à ses besoins. Sa curiosité et son enthousiasme sont sans fin, et est il très affectueux. Je n’ai pas connu ça dans mon enfance, la présence d’une animal de compagnie, donc je ne cesse d’être émerveillée par la personnalité de Buddy et par sa joie de vivre.

Le sol bleu de Clara

Clara est une de mes élèves de piano. Elle a cinq ans et de grands yeux bleus. Elle commence seulement à lire et à écrire, mais elle est fière de connaître les notes de musique, do-ré-mi-fa-sol-la-si-do. Elle peut même les écrire si j’épelle les lettres une à la fois. « Mi » c’est « m–i », « fa » c’est « f–a » et ainsi de suite.

Mon découragement face au confinement et au télétravail imposé par la pandémie m’ont poussé à échanger un emploi stable en administration pour des contrats de professeure de piano et de formatrice en ateliers d’art. Un retour à mes premières amours. Je rebâtis donc cette fondation sur laquelle on nous encourage rarement de faire carrière. C’est dans ces activités que je retrouve ma joie.

Parfois, enseigner le piano aux tout-petits me ramène à ma propre enfance. L’émerveillement de Clara, tellement contente de reconnaître la note « sol » sur la portée qu’elle trace ses lettres trois fois, me ramène tout à coup l’odeur du gazon fraîchement coupé. Je me revois assise devant le piano droit, chez nous, près de la porte qui mène dehors au lac. Je peux quasiment sentir le vent entrer par la fenêtre, et je revois sur les feuilles de musique le griffonnage de Mrs. Burton, ma professeure de piano avec le dos bien droit qui voulait toujours que je pratique davantage.

Mes élèves profiteraient sans doute de pratiquer davantage eux aussi. Pourtant, cela ne me dérange pas de me mettre à la recherche du « sol » cinquante fois avec quelqu’un, parce que c’est peut-être à la cinquante-et-unième fois que la note va rester soudée dans son esprit, lui permettant d’aller l’identifier avec confiance sur le clavier. En musique, ainsi que dans nos vies, la répétition peut faire place à l’épanouissement.

Art-thérapie

illustration de femme qui pleure, autoportrait
Autoportrait en pleurs. Ce jour-là, rien n’allait, mais les heures mises à dessiner ce visage tordu m’ont rappelé que chacun-e d’entre nous vit des moments difficiles. Ce processus réveille de la compassion envers moi-même, ce qui ne me vient guère facilement.

Ça peut vous paraître étrange, mais je me dessine depuis plus de vingt ans. Pourquoi donc? C’est une pratique d’observation, d’apprivoisement et d’acceptation. Je dessine d’autres personnes aussi, mais l’autoportrait est une démarche en soi qui m’a fait découvrir beaucoup de différentes facettes de ma personnalité et de ma vie. Cela me permet également un détachement de soi, dans le sens que le geste de me représenter sur papier met en perspective la petite place que j’occupe dans l’univers.

Cette compilation de deux dessins fait partie d’une exposition de femmes artistes à Montebello : culturepapineau.org/femmexpo2022. Je suis contente de participer, et ça ne me fait rien qu’on me voie dans cet état et non pas à mon meilleur, parce que cette pratique m’aide à assumer de plus en plus mes forces et mes faiblesses. De plus, alors qu’une photo est une représentation statique d’un moment dans le temps, un dessin fait à partir d’une photo donne à ce moment une toute autre vie. Ce que je vois dans ce dessin est en rapport avec mon expérience de l’avoir créé, mais quelqu’un d’autre peut l’intérpréter complètement différemment, selon sa vision et ses expériences. Que voyez-vous?

Musico-thérapie

Me voici au piano, entourée de mes fils : Alexandre à ma droite et Nicholas à ma gauche lors d’une fête de Noël en 2017. Ils aiment encore chanter avec leur maman!

Lors d’une belle soirée enneigée de la fin janvier 2022, je suis allée cogner chez un voisin ​jusque-là inconnu vivant dans mon quartier, un homme qui s’appelait Carlos. Nous nous étions parlé au téléphone après que j’aie répondu à son annonce d’un piano à donner. Je cherchais un piano depuis un bout de temps pour l’Espace DEP Sylvestre, un centre communautaire hors de l’ordinaire qui réouvrira bientôt ses portes après une fermeture prolongée par la pandémie.

Je suis arrivée les deux pieds dans la cuisine de la casa de Carlos où j’ai été accueillie chaleureusement. Le piano était là, près de l’entrée, et le fils de Carlos et un autre jeune homme étaient assis à la table pas très loin. Tout en enlevant mes bottes, j’ai demandé aux jeunes ​s’ils tenaient à ce que je porte mon masque dans la maison. Ils avaient la même question au bout des lèvres, mais quand on a découvert que deux d’entre nous venions de nous rétablir du virus, nous avons décidé de laisser tomber. Carlos m’a fait signe de m’asseoir au piano, mais j’ai insisté pour qu’il joue en premier, puisqu’il m’avait dit au téléphone qu’il était musicien.

Au bout de quelques minutes à peine, du piano a jailli une belle interprétation de « Hallelujah » sous le doigté expert de Carlos. Il chantait, les deux jeunes hommes chantaient, et je chantais avec eux quand je me souvenais des paroles. Dès que Carlos a fini de jouer, nous l’avons applaudi en riant. Grâce à la musique, nous n’étions plus des inconnus.

« À ton tour maintenant! » m’a lancé Carlos en me cédant la place sur le banc. J’avais apporté mes partitions et me suis mise à les feuilleter pour trouver une pièce digne de donner suite à sa performance. Comme beaucoup de personnes le font, il me taquinait sur le fait que j’avais besoin de mes feuilles de musique, mais je suis fière d’être en mesure de jouer grâce à mes partitions, alors je traine mon cartable sans plus me poser de questions. J’ai trouvé la partition de « A Bridge Over Troubled Water » et me suis lancée en faisant tout plein de fausses notes, mais tant pis, j’ai maintenu le tempo et tout le monde a chanté.

Le piano ne répondait pas aux attentes et j’ai dû rappeler Carlos le lendemain pour lui dire qu’on continuerait nos recherches. Mais je garderai toujours le souvenir de​ ces quinze minutes de chaleur humaine que le partage de la musique nous a offertes. Ce moment a permis d’oublier pour quelque temps l’isolement de la pandémie et espérer vivement qu’on se retrouve tous et toutes en train de chanter autour d’un piano, peu importe comment une telle rencontre prend forme dans la vie de chacun-e.

Zoothérapie

Je vous présente Buddy. Il a de grandes oreilles tombantes et il incline sa tête quand on lui parle, tantôt à gauche, tantôt à droite, comme si on parlait une langue qui lui échappe. Mais il est convaincu qu’avec suffisament de concentration il finira par nous comprendre.

Buddy est un mélange de boxer, de berger allemand et de border collie. C’est aussi un coureur, un chasseur et un protecteur, avec une grande dose de colleux. Son maître est Dan, mon conjoint qui vit tout près, mais j’ai le grand honneur d’être sa personne préférée, sa collette.

Buddy est arrivé avant la pandémie quand on ne savait pas qu’il y aurait une pandémie. Il nous fait rire, et même s’il nous cause parfois des soucis, sa présence est tellement joyeuse et son amour tellement inconditionnel que nous sommes contents de nous occuper de lui tout comme il s’occupe de nous.