Le printemps suivant, contre toute attente, ils sont revenus. On aurait pu s’imaginer qu’ils choisiraient un emplacement plus sécuritaire que le dernier mais ce serait mésestimer l’orgueil des corbeaux. Non, ils ont choisi l’église. Et pas le portique arrière, non plus. Le devant de l’église, tout en haut, juste au bas de la flèche sur un arc de la chambre des cloches. Quelle bravade ! De leur chaire, les corbeaux prêcheurs pouvaient maintenant sermonner les pécheurs à leur guise, comme ils le méritaient.
Ils terrifiaient les mamans et les papas du village. Un nid de balbuzard n’avait pas sa place en haut d’un lampadaire au terrain de balle municipal. Ils menaçaient à tout moment de descendre en piqué et d’emporter les bambins dans leurs griffes. Faut dire que les balbuzards prenaient plaisir à effrayer les gens. Ils s’étaient développés une tête à cauchemar, avec les poils hérissés et un regard un peu fou à faire frire les crapets-soleils. Les enfants aussi, même s’ils n’en mangeaient jamais. Yeurk !
On n’a pas eu besoin de prier les balbuzards de déménager leurs pénates. Leur campagne de terreur avait réussi. Ils avaient maintenant leur parfait petit nid de banlieue, idéal pour élever une famille et près de tous les services. Le bonheur, quoi !
Avec sa copine il avait élu domicile sur une tour de télécommunications un peu en retrait du village, sur le bord de la grande route. À mi-hauteur, la vue sur la rivière était splendide. C’était bien aéré, et surtout pas de voisin bruyant. La rumeur courait que la tour était maintenant hors d’usage puisqu’aucun réparateur ne voulait s’y aventurer.
À voir le pygargue trôner fièrement en haut de sa tour, les gens qui empruntaient le grand chemin ont commencé à accepter son allure royale et, petit à petit, de le considérer comme leur souverain. Certains ont même suggéré d’en faire l’oiseau national du village. Mais il était déjà l’oiseau national de quelqu’un d’autre.
Le 21 mai 2022, un derecho brutal s’est abattu sur le village. Les habitants ont vu des toitures s’envoler comme des feuilles de papier, des silos s’écraser sur les granges et des arbres tomber sur les maisons et les voitures. Curieusement, les nids des corbeaux, des balbuzards et des pygargues sont restés intacts.
Photos d’en-tête: Balbuzard (NASA) — Pygargue (Virginia State Parks) — Corbeau (Frank Schulenburg) — Montage (bibi)
Portraits: Corbeau (Alan Vernon) — Balbuzard (Andy Morffew) — Pygargue (DigitalFuture123)
2 réponses
Comme c’est bien écrit! Que c’est beau! Je crois personnellement qu’il y a une belle morale à tout ça….
Merci, Nathalie. Mais je cherche encore la morale… 🙂