Flammèches

Le corbeau, le balbuzard et le pygargue

Oiseaux de mon village

« T’inquiète pas, Lafontaine, c’est pas une fable. Y a même pas de morale à la fin. Du moins je pense. »

Corbeau
Dans un village pas très loin de chez vous vivaient paisiblement un corbeau et sa corbelle. Ils habitaient un logement tout en haut d’une épinette, au cœur du village, à deux battements d’aile de l’église. Le canton les avaient embauché pour faire la leçon aux citoyens qui négligeaient de couvrir leurs poubelles. Les lundis étaient jours fastes et le reste de la semaine ils méditaient au soleil sur le pignon de l’église.
Or il faut savoir que les épinettes ont des racines superficielles. Un jour de grand vent, l’arbre est tombé et les corbeaux sont disparus.

Le printemps suivant, contre toute attente, ils sont revenus. On aurait pu s’imaginer qu’ils choisiraient un emplacement plus sécuritaire que le dernier mais ce serait mésestimer l’orgueil des corbeaux. Non, ils ont choisi l’église. Et pas le portique arrière, non plus. Le devant de l’église, tout en haut, juste au bas de la flèche sur un arc de la chambre des cloches. Quelle bravade ! De leur chaire, les corbeaux prêcheurs pouvaient maintenant sermonner les pécheurs à leur guise, comme ils le méritaient.

Les paroissiens, qui ont assisté à la construction du nid, ont trouvé les corbeaux bien prétentieux. Le premier gros vent leur enseignera un brin d’humilité, se disaient-ils.
Le premier gros vent est venu, puis l’hiver est passé et au printemps suivant, le nid dominait toujours sur la paroisse. Et les corbeaux sont revenus du Sud pour gronder les paroissiens une année de plus.
Balbuzard

Ils terrifiaient les mamans et les papas du village. Un nid de balbuzard n’avait pas sa place en haut d’un lampadaire au terrain de balle municipal. Ils menaçaient à tout moment de descendre en piqué et d’emporter les bambins dans leurs griffes. Faut dire que les balbuzards prenaient plaisir à effrayer les gens. Ils s’étaient développés une tête à cauchemar, avec les poils hérissés et un regard un peu fou à faire frire les crapets-soleils. Les enfants aussi, même s’ils n’en mangeaient jamais. Yeurk !

Les papas et les mamans, désespérés, se sont adressé aux autorités et après de longs débats, une solution s’est présentée. On leur construirait un logement subventionné sur un poteau du canton et sur un terrain du canton. Près de l’usine d’épuration, ils ne dérangeraient personne.

On n’a pas eu besoin de prier les balbuzards de déménager leurs pénates. Leur campagne de terreur avait réussi. Ils avaient maintenant leur parfait petit nid de banlieue, idéal pour élever une famille et près de tous les services. Le bonheur, quoi !

Pygargue
C’était un pygargue mais il détestait ce nom. Il préférait qu’on l’appelle aigle à tête blanche ou mieux, aigle royal. Il n’était pas un aigle mais ce détail ne le dérangeait pas. Il aimait aussi être appelé le détrousseur de grand chemin. Parce que, oui, il était d’abord un pêcheur mais il aimait bien détrousser les buses de leur petit gibier, question de varier son menu à l’occasion.

Avec sa copine il avait élu domicile  sur une tour de télécommunications un peu en retrait du village, sur le bord de la grande route. À mi-hauteur, la vue sur la rivière était splendide. C’était bien aéré, et surtout pas de voisin bruyant. La rumeur courait que la tour était maintenant hors d’usage puisqu’aucun réparateur ne voulait s’y aventurer.

À voir le pygargue trôner fièrement en haut de sa tour, les gens qui empruntaient le grand chemin ont commencé à accepter son allure royale et, petit à petit, de le considérer comme leur souverain. Certains ont même suggéré d’en faire l’oiseau national du village. Mais il était déjà l’oiseau national de quelqu’un d’autre.

Le 21 mai 2022, un derecho brutal s’est abattu sur le village. Les habitants ont vu des toitures s’envoler comme des feuilles de papier, des silos s’écraser sur les granges et des arbres tomber sur les maisons et les voitures. Curieusement, les nids des corbeaux, des balbuzards et des pygargues sont restés intacts.

Photos d’en-tête: Balbuzard (NASA) — Pygargue (Virginia State Parks) — Corbeau (Frank Schulenburg) — Montage (bibi)

Portraits: Corbeau (Alan Vernon) — Balbuzard (Andy Morffew) — Pygargue (DigitalFuture123)

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