Clara est une de mes élèves de piano. Elle a cinq ans et de grands yeux bleus. Elle commence seulement à lire et à écrire, mais elle est fière de connaître les notes de musique, do-ré-mi-fa-sol-la-si-do. Elle peut même les écrire si j’épelle les lettres une à la fois. « Mi » c’est « m–i », « fa » c’est « f–a » et ainsi de suite.
Mon découragement face au confinement et au télétravail imposé par la pandémie m’ont poussé à échanger un emploi stable en administration pour des contrats de professeure de piano et de formatrice en ateliers d’art. Un retour à mes premières amours. Je rebâtis donc cette fondation sur laquelle on nous encourage rarement de faire carrière. C’est dans ces activités que je retrouve ma joie.
Parfois, enseigner le piano aux tout-petits me ramène à ma propre enfance. L’émerveillement de Clara, tellement contente de reconnaître la note « sol » sur la portée qu’elle trace ses lettres trois fois, me ramène tout à coup l’odeur du gazon fraîchement coupé. Je me revois assise devant le piano droit, chez nous, près de la porte qui mène dehors au lac. Je peux quasiment sentir le vent entrer par la fenêtre, et je revois sur les feuilles de musique le griffonnage de Mrs. Burton, ma professeure de piano avec le dos bien droit qui voulait toujours que je pratique davantage.
Mes élèves profiteraient sans doute de pratiquer davantage eux aussi. Pourtant, cela ne me dérange pas de me mettre à la recherche du « sol » cinquante fois avec quelqu’un, parce que c’est peut-être à la cinquante-et-unième fois que la note va rester soudée dans son esprit, lui permettant d’aller l’identifier avec confiance sur le clavier. En musique, ainsi que dans nos vies, la répétition peut faire place à l’épanouissement.