Le sol bleu de Clara

Clara est une de mes élèves de piano. Elle a cinq ans et de grands yeux bleus. Elle commence seulement à lire et à écrire, mais elle est fière de connaître les notes de musique, do-ré-mi-fa-sol-la-si-do. Elle peut même les écrire si j’épelle les lettres une à la fois. « Mi » c’est « m–i », « fa » c’est « f–a » et ainsi de suite.

Mon découragement face au confinement et au télétravail imposé par la pandémie m’ont poussé à échanger un emploi stable en administration pour des contrats de professeure de piano et de formatrice en ateliers d’art. Un retour à mes premières amours. Je rebâtis donc cette fondation sur laquelle on nous encourage rarement de faire carrière. C’est dans ces activités que je retrouve ma joie.

Parfois, enseigner le piano aux tout-petits me ramène à ma propre enfance. L’émerveillement de Clara, tellement contente de reconnaître la note « sol » sur la portée qu’elle trace ses lettres trois fois, me ramène tout à coup l’odeur du gazon fraîchement coupé. Je me revois assise devant le piano droit, chez nous, près de la porte qui mène dehors au lac. Je peux quasiment sentir le vent entrer par la fenêtre, et je revois sur les feuilles de musique le griffonnage de Mrs. Burton, ma professeure de piano avec le dos bien droit qui voulait toujours que je pratique davantage.

Mes élèves profiteraient sans doute de pratiquer davantage eux aussi. Pourtant, cela ne me dérange pas de me mettre à la recherche du « sol » cinquante fois avec quelqu’un, parce que c’est peut-être à la cinquante-et-unième fois que la note va rester soudée dans son esprit, lui permettant d’aller l’identifier avec confiance sur le clavier. En musique, ainsi que dans nos vies, la répétition peut faire place à l’épanouissement.

Art-thérapie

illustration de femme qui pleure, autoportrait
Autoportrait en pleurs. Ce jour-là, rien n’allait, mais les heures mises à dessiner ce visage tordu m’ont rappelé que chacun-e d’entre nous vit des moments difficiles. Ce processus réveille de la compassion envers moi-même, ce qui ne me vient guère facilement.

Ça peut vous paraître étrange, mais je me dessine depuis plus de vingt ans. Pourquoi donc? C’est une pratique d’observation, d’apprivoisement et d’acceptation. Je dessine d’autres personnes aussi, mais l’autoportrait est une démarche en soi qui m’a fait découvrir beaucoup de différentes facettes de ma personnalité et de ma vie. Cela me permet également un détachement de soi, dans le sens que le geste de me représenter sur papier met en perspective la petite place que j’occupe dans l’univers.

Cette compilation de deux dessins fait partie d’une exposition de femmes artistes à Montebello : culturepapineau.org/femmexpo2022. Je suis contente de participer, et ça ne me fait rien qu’on me voie dans cet état et non pas à mon meilleur, parce que cette pratique m’aide à assumer de plus en plus mes forces et mes faiblesses. De plus, alors qu’une photo est une représentation statique d’un moment dans le temps, un dessin fait à partir d’une photo donne à ce moment une toute autre vie. Ce que je vois dans ce dessin est en rapport avec mon expérience de l’avoir créé, mais quelqu’un d’autre peut l’intérpréter complètement différemment, selon sa vision et ses expériences. Que voyez-vous?