Le printemps est la saison des rigoles. À la ferme, il y a plusieurs années, aux derniers jours du dégel, j’étais dehors à canaliser l’eau de fonte. Officiellement, c’était le moment de mesurer la dénivellation du sol et de planifier les travaux de drainage et d’irrigation pour l’année. Donner des petits coups de pelle ça et là, enlever des mottes et des racines, rediriger des filets d’eau pour concentrer leur flot, tout pour améliorer l’écoulement sans entraves de l’eau et l’amener la où elle irait de toute façon, mais par un chemin plus intéressant.
En réalité, j’ai passé plus de temps à rêvasser au soleil, appuyé contre ma pelle, qu’à travailler. À cette époque je dirigeais une entreprise, même si je n’étais pas vraiment un homme d’affaires. J’étais submergé dans les problèmes de gestion, de trésorerie, de financement, de développement et de plusieurs autres blablablas. Et je doutais de moi. Ces sempiternelles questions d’adolescence : Qui suis-je? Qu’est-ce que j’aimerais faire? Suis-je à la hauteur?
Je me souviens du moment où je me suis fait une paix intérieure, toute relative. Ma rigole devait traverser les racines de surface d’un vieux saule pleureur. J’y suis parvenu. J’étais fier. Je me suis dit que, dans le fond, je n’ai toujours été qu’un rigoleux. Avec de l’eau, mais aussi avec la créativité des gens autour de moi. Si je ne pouvais pas être un artiste, je pouvais au moins utiliser mes talents pour canaliser le talent des autres que j’admirais tant.
Cette pensée m’a permis de surmonter quelques épreuves dans les années suivantes. Ça et Stephanie et Manu. Si, au fil du temps, mes coups de pelle ont fait plus de tort que de bien, j’en suis vraiment désolé. J’ai fait de mon mieux.
Maintenant, je sors prendre un peu d’air, mais pas pour rigoler.
La photo est de Kamé Mageau-Walker (ma grande petite-fille). Elle a été prise quelque part dans le bassin versant de la Nation-Sud le 30 mars 2020. Mais où?