Le violon de Simone, partie 3

Le Théâtre Laurier de Hull en 1933

C’est en côtoyant les musiciens qui accompagnaient les films muets que le rêve de Simone s’est enflammé.

J’avais 7 ans quand la télévision a pris racine dans le village d’Alfred en 1955. Heureux événement, mais pas pour tous. La télévision a tué les cinémas de campagne dont celui qui nourrissait notre famille. J’étais bien content de regarder un Mighty Mouse enneigé sur une station de télé américaine mais le drame autour de moi était palpable. Le métier de projectionniste avait fait vivre mon père pendant toute sa vie adulte.

La télé n’était pas le premier chamboulement culturel du siècle : le cinéma et les enregistrements sonores avaient déjà marqué le début du siècle1.

Les enregistrements sonores, eux, ont bouleversé la vie des musiciens d’événements, de veillées, de salons et de récitals. La vente d’instruments de musique a chuté partout. Mirecourt2, qui recensait 600 luthiers en 1926, n’en comptait qu’une centaine en 1954.

J’essaie d’imaginer mes parents à l’âge de 8 ans, en 1919. Une guerre mondiale venait de se terminer et la grande dépression les attendait en 1929. Les nouvelles technologies avaient déjà créés bien des remous dans la vie des familles. Ma mère vivait au Théâtre Laurier de Hull, où ses parents travaillaient3. En fait, elle résidait dans une modeste maison de bois sur la rue Ste-Hélène, mais elle-même disait qu’elle avait été élevée dans les loges des artistes en tournée. J’imagine une petite fille, pétante de vitalité, qui court dans l’arrière-scène du théâtre où des artistes, loin des leurs, la prennent en affection.

Le Théâtre Laurier était à la croisée des chemins. Le cinéma, muet d’abord, prenait progressivement le dessus sur le théâtre et les variétés. Et c’est en côtoyant les musiciens qui accompagnaient les films muets que le rêve de Simone s’est enflammé.

À suivre.

Cette photo du Théâtre Laurier date de 1933 — le film annoncé Storm at Daybreak le confirme. Source: Ville de Gatineau, collection iconographique de la Ville de Hull, H012-01/0762.

1 Le cinéma est arrivé dans la région au début du 20e siècle. La première projection sonorisée (le parlant) a Hull a eu lieu au Théâtre Laurier en 1929. Voir deux excellents articles de Raymond Ouimet dans LeDroit:
L’arrivée du cinéma à Gatineau, le 14 mai 2021 et Donat Paquin ou Monsieur Cinéma, le 11 mars 2022
Petite anecdote racontée par M. Ouimet: à 16 ans, Donat Paquin faisait des tounées de projecction dans l’Est ontarien; à l’hôtel de ville d’Alfred, il a failli perdre ses équipements dans un incendie. À cette époque, la pellicule de nitrate s’enflammait facilement.

Le phonographe fut inventé en 1877, mais c’est avec l’invention de la lampe triode en 1906 qui permettait d’amplifier un signal que les enregistrements sonores ont pris leur essor. Wikipedia.

3 Monsieur Paquin était le boss de mes grands-parents maternels.

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