Le thuriféraire

le thuriféraire et l'encensoir

Répand un parfum d’église quand il ne flagorne pas. Facile : thuriféraire.

Le bon et serviable petit catholique que j’étais m’avait conféré le privilège d’être enfant de chœur. Pas n’importe lequel, non plus. Un enfant de chœur désigné pour les funérailles.

J’adorais les funérailles. Elles avaient lieu sur semaine pendant les heures de classe. Je sortais de l’école toujours à la course, au cas où l’on changerait d’idée, pour piquer à travers les terrains vagues en ligne droite vers l’église Très-Sainte-Trinité de Rockland.

Là c’était le calme et l’espace était grandiose, envoûtant. Je crois que c’est à cette époque que j’ai découvert le plaisir discret de la solitude.

J’ai déjà été seul avec le célébrant, mais la plupart du temps il y avait un autre enfant de chœur, plus vieux. Parfois il y avait aussi un cruciféraire et un thuriféraire. C’était pour les grandes occasions quand «le mort était spécial».

Je n’ai appris que récemment le mot cruciféraire. Pour nous c’était le porteur de la croix. Mais le mot thuriféraire est peut-être le premier grand mot que j’ai appris. Le thuriféraire est celui qui préparait l’encensoir, allumait l’encens et quand le célébrant le permettait, c’est lui qui balançait l’encensoir tout autour du cercueil.

L’encens m’enivrait et je vénérais la personne qui enfumait les lieux de cette sainte boucane. Je rêvais de devenir thuriféraire un jour. C’était bien plus intéressant comme travail que celui de prêtre.

Ce n’était pas mon destin, faut croire. Mes parents m’ont envoyé au Petit Séminaire d’Ottawa, une des rares institutions en Ontario où l’on pouvait faire son secondaire en français*.

La grandiose église est devenue une chapelle au plafond bas dans le sous-sol d’un dortoir, et le rôle d’enfant de chœur était réservé aux plus vieux**. Comme je n’ai fait que mon secondaire au séminaire, je n’ai jamais pu devenir thuriféraire, ni même redevenir enfant de chœur.

Ma seule consolation est venue de mes mots croisés : Répand un parfum d’église quand il ne flagorne pas. Facile : thuriféraire.

* Mes amis qui ont fait leur secondaire à Rockland ont appris leurs matières en anglais. Même le latin qu‘ils ont appris était prononcé à l’anglaise (/r/osa, /r/osa, /r/osam…).

** Les huit années d’un cours classique étaient comptées comme suit : les éléments latins, la syntaxe latine, la méthode, la versification, et ensuite les belles-lettres, la rhétorique, philosophie I et philosophie II.

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