La frivoleuse

Photo publicitaire de 1914

Quand sa sœur est venu lui rendre visite, elle nous a bien vite corrigés. Ma mère faisait du tatting, comme elle en avait tant fait dans sa jeunesse. Cette fois sans fil et sans navette. Ma mère était une frivoleuse !

Elle répétait sans cesse les mêmes simagrées avec ses mains, méthodiquement, les doigts s’étirant dans tous les sens. Ma mère, victime d’Alzheimer, vivait ses derniers jours à l’hôpital. On avait vu la démence s’installer au fil des mois et ces simagrées en étaient une manifestation de plus.

Mais non. Quand sa sœur est venu lui rendre visite, elle nous a bien vite corrigés. Ma mère faisait du tatting, comme elle en avait tant fait dans sa jeunesse. Cette fois sans fil et sans navette. Ma mère était une frivoleuse !

Gravure des deux mains d'une frivoleuse

La frivolité, ou tatting, est une dentelle dite mineure utilisée initialement comme bordure ou frange à des cols, des châles ou encore des napperons. Jusqu’au XIXe siècle, on disait simplement « faire des nœuds ». La technique prendrait ses origines dans le nouage de filets ou de franges décoratives dans le monde maritime et s’apparente plus au macramé qu’à la couture. En effet, macramé et frivolité ont un point en commun (littéralement !).

Navette, crochet et aiguille de frivolité
Navette, aiguille et crochet de frivolité
Le repas chez levi, tableau
Frange de nappe en macramé au XVIe siècle

Le nœud de base est la demi-clé. Une alternance de deux demi-clés, l’une à gauche et  l’autre à droite, donne un nœud qui, dans le monde du matelotage, est le nœud tête d’alouette. En frivolité, on l’appelle le double nœud, en broderie et en macramé c’est le double feston et au crochet c’est un double crochetage. Les frivoleuses ou frivoleurs se servent habituellement d’une navette pour faire les points rapidement quoique le crochet ou l’aiguille peuvent être utilisés.

La demi-clé, ou nœud de feston
Tête d'alouette
La tête d'alouette, ou le nœud de feston double
Points de feston
Un arceau de cinq nœuds

La principale caractéristique de la frivolité, et ce qui la rend fascinante à mes yeux est le « transfert » du nœud. Essayez-le ! Avec une corde A, faites une demi-clé autour d’une corde B comme dans la première image ci-haut. Tirez fort sur les deux bouts de la corde A pour la raidir et la demi-clé se formera sur la corde B. Chez les frivoleuses sérieuses, l’opération se fait très rapidement et tous les doigts sont mis à contribution. (Voir un tutoriel de J. Pandore)

Rosette

Partie d’un dessus de table réalisé à la navette et au crochet par Géraldine Caron (ma mère) en 1925, environ. Huit rosettes de 15 cm ont été cousues à un tissu central. C’est le seul « ouvrage » de ce genre qu’il nous reste de ma mère, malheureusement.

Si la navette avec son transfert de nœuds caractérise la frivolité, d’autres types de dentelles ont aussi leurs techniques particulières, comme le crochet, l’aiguille et les fuseaux. Ces techniques artisanales sont encore utilisées à petite échelle dans des associations locales ou pour des œuvres artistiques. Dans les productions commerciales toutefois, elles ont dû céder leur place aux métiers à dentelle mécaniques perfectionnés en 1841 par John Levers. Les dentellières ont été remplacées, en partie du moins, par des opérateurs de machinerie. Et les dentelles qui étaient à une époque l’apanage du clergé et de l’aristocratie sont devenues des articles de mode, comme en témoigne cet extrait du site Web de la Dentelle de Calais-Caudry.
« La Dentelle de Calais-Caudry® est la marque d’une dentelle iconique, étoffe de rêve de haute facture et du glamour intemporel. Intimement liée à l’âme du chic à la française, elle est indissociable de l’élégance et de la féminité, sublimant sous le talent des créateurs, les courbes du corps, comme en transparence la délicatesse de la peau. Infinie dans ses effets, elle se prête aussi à la créativité du design et de la décoration pour enchanter des univers tout en poésie. »

L’image d’en-tête vient de la couverture d’un feuillet publicitaire:
De point en point présente L’Art de la Frivolite No. D,
Montreal, The Canadian Spool Cotton Co., [c.1945] 5 pgs.
Antique Pattern Library

Les mains de la frivoleuse sont sorties de:
Encyclopédie des ouvrages de dames
Dillmont, Thérèse de (1846-1890)
Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, 8-V-27008

Les trois photos de nœuds sont de moi-même.

Le Repas chez Levi est une peinture de l’artiste italien Paolo Caliari, dit Véronèse en 1573.

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