C’était un musée de sciences naturelles, ma classe de 4e – 5e année à l’école Saint-Victor d’Alfred. Trois murs, et même un peu du quatrième, étaient occupés par des échantillons de toutes sortes : en haut accrochés aux murs, en bas sur des tablettes. Animaux empaillés, squelettes de petits mammifères, peaux de couleuvre, insectes épinglés, échantillons de bois, feuilles d’arbre cirées… Et la classe débordait dans la cour d’école où tous les arbres qui la ceinturaient portaient une plaque d’identification.
Si le but était d’intéresser les jeunes garçons à l’école, c’était plutôt réussi. Le maître d’œuvre était le Frère Barnabé. L’école Saint-Victor était juste en face de ce qu’on appelait l’école de réforme et les Frères des écoles chrétiennes en étaient les tenanciers. Pourquoi le Frère Barnabé avait-il traversé la rue? Sais pas.
Il était nettement disciple du Frère Marie-Victorin, également Frère des écoles chrétiennes, auteur de la Flore laurentienne et fondateur du Jardin botanique de Montréal. D’ailleurs tous les élèves de la classe étaient membres de facto du Club des jeunes naturalistes, lié à l’organisme Cercles des Jeunes Naturalistes. Marie-Victorin disait : «… les Jeunes Naturalistes vont apprendre à admirer les violettes dont ils épelaient machinalement le nom dans leur abécédaire, ils vont se lier avec l’insecte qui passe et la couleuvre qui fuit, avec le poisson qui brille et l’oiseau qui vole vers le soleil. Ils vont même interroger les pierres de la route et leur arracher le secret du cristal et du fossile.»*
Inspiré par mon enseignant, j’aurai passé bien des heures à monter ma collection de deux papillons. Les attraper était amusant, mais je détestais avoir à les empoisonner et les transpercer.
Le Frère Barnabé avait une autre passion. Il jouait de l’harmonium, une espèce d’orgue que l’on pompe avec ses pieds, comme un pédalo. Lui faire une place dans une classe déjà bondée était tout un tour de force. Chaque matin, après la prière, il s’installait à son harmonium et se mettait à pomper. Éventuellement, de la musique en sortait.
Bien des années plus tard, j’ai fouillé l’Internet dans tous ses recoins pour trouver une trace du Frère Barnabé. Sans succès. Quelqu’un m’a dit un jour que le Jardin botanique avait hérité de la collection.
Puis il n’y a plus d’arbres autour de la cour de l’école Saint-Victor.
C’est tristement tout.
La photo d’entête est signée Bernard J. Bogue de Hawkesbury, une entreprise qui existe toujours. La classe incluait peut-être la 6e année, je ne me souviens plus.
* La citation de Marie-Victorin est tirée du site Web des Cercles des Jeunes Naturalistes.
2 réponses
Encore un beau et touchant texte! Le monde et les enfants se portent toujours mieux quand il y a un frère Barnabé dans les parages.
Au fait, est-ce toi au premier rang, à la troisième place en partant de la gauche?
Trahi par mes rousselures, même en noir et blanc !