Mais hors du français et de l’anglais, point de salut, dit-on. Dernièrement, j’ai entendu une chanson espagnole qui m’a renversé : Barro tal vez. La musique était envoûtante, magnifique. Je croyais au début — et ça me gêne de l’avouer — qu’il s’agissait d’une sorte de blues espagnol qui racontait une aventure dans un bar nommé Tal vez. Wikipedia ne m’était pas d’une grande utilité : aucun texte en français ou en anglais, juste en espagnol. Heureusement, le site de traduction DeepL est venu à ma rescousse. Ce que j’ai appris m’a jeté en bas de ma chaise, une seconde fois.
Barro tal vez peut se traduire par De la boue, peut-être, et la chanson a été composée en 1965 par un gamin argentin passionné, âgé de 15 ans seulement. En voici une traduction libre*.
Si no canto lo que siento
me voy a morir por dentro
he de gritarle a los vientos hasta reventar
aunque sólo quede tiempo en mi lugar
Si quiero me toco el alma
pues mi carne ya no es nada
he de fusionar mi resto con el despertar
aunque se pudra mi boca por callar
Ya lo estoy queriendo
ya me estoy volviendo canción
barro tal vez…
Y es que esta es mi corteza
donde el hacha golpeará
donde el río secará para callar
Ya me apuran los momentos
ya mi sien es un lamento
mi cerebro escupe ya el final del historial
del comienzo que tal vez reemprenderá
Si quiero me toco el alma
pues mi carne ya no es nada
he de fusionar mi resto con el despertar
aunque se pudra mi boca por callar
Ya lo estoy queriendo
ya me estoy volviendo canción
barro tal vez…
Si je ne chante pas ce que je ressens
je vais mourir en dedans
je dois crier au vent jusqu’à ce que j’éclate
même s’il n’est pas encore temps pour moi
Si je le veux, je toucherai mon âme
car ma chair n’est plus rien
je dois fusionner mes restes avec le réveil
même si ma bouche pourrit à se taire
J’en ai déjà envie
je suis déjà en train de devenir chanson
de la boue peut-être…
Et voici mon écorce
où la hache va frapper
où la rivière s’assèche pour se taire
Je suis déjà pressé
ma tempe est une lamentation
mon cerveau recrache déjà la fin de l’histoire
du début qui peut-être reprendra
Si je le veux, je toucherai mon âme
car ma chair n’est plus rien
je dois fusionner mes restes avec le réveil
même si ma bouche pourrit à se taire
J’en ai déjà envie
je suis déjà en train de devenir chanson
de la boue peut-être…
Luis Alberto Spinetta (1950-2012) est devenu un des piliers du rock argentin. Paroles profondes et une musique riche et complexe qui refuse de tomber dans le commercial. Barro tal vez est maintenant un classique incontournable du répertoire argentin.
Comment peut-on se contenter de vivre dans notre bulle linguistique et d’ignorer ce que 6 milliards d’humains vivent de l’intérieur ? L’anglais et le français ont, ensemble, moins de 2 milliards de locuteurs, langues maternelles et secondaires confondues. On peut toujours espérer des traductions mais quand on entend les traductions de Brel ou des Herman’s Hermits, on change d’idée (Je pense à « Donne-moi ta bouche… » pour « There’s a kind of hush… » et j’ai le goût de brailler). Il n’y a qu’une solution.
* Version compilée à partir de trois traductions par logiciel et vérifiée par une amie linguiste. Merci Sheila Scott!
Une version rajeunie de la chanson qui a connu tout un succès il y a quelques années. C’est cette version que j’ai entendu en premier.
Barro tal vez (Luis Alberto Spinetta)/ Cande Buasso/Paulo Carrizo
Deux géants d’Argentine s’unissent en 2009 : Mercedes Sosa, l’année-même de son décès, et Luis Alberto Spinetta, qui mourra d’un cancer trois ans plus tard.
Pour les puristes, qui ne craignent pas les mauvais enregistrements… Spinetta en 2005, seul avec sa guitare électrique, comme en 1965.
Barro tal vez de Luis Alberto Spinetta en vivo desde el Salón Blanco – Archivo Histórico RTA
L’image d’en-tête est un montage de Stephanie à partir d’une photo de Guillaume Techer (Unsplash) et d’un manuscrit de Spinetta photographié par Roblesspepe.
3 Responses
Il m’arrive de me dire « tiens, ça ferait une belle chanson si elle n’était pas en français, je serais moins distrait par l’insignifiance des paroles ». Je n’ai pas d’oreille pour les langues, je lis l’anglais mais je ne l’entends pas, ou très mal. J’ai d’abord cru que Cindy Lauper chantait « Girls just want a pop corn », ce qui ne m’étonnait même pas puisque je ne comprenais pas le reste de la chanson. Ô Girls, quelles étranges envies vous inspirent vos chansons ! (Encore aujourd’hui, j’entends « pop corn ».)
Un de mes déceptions musicales les plus traumatisantes a été de me rendre compte que le Duo des fleurs de l’opéra Lakmé de Léo Delibes avait été composé sur un livret en français. J’ai d’abord cru que c’était de l’italien… L’harmonie des voix a aussitôt été détruite par la banalité des paroles.
https://www.youtube.com/watch?v=C1ZL5AxmK_A (après la première minute).
L’avantage de mal maîtriser une langue est de mieux saisir le message. En anglais, j’atteins le sens directement. En français, le sens est perçu derrière la perception du niveau de langage de l’auteur, de celle de son style, de ses tours littéraires, etc. Je suis distrait par l’histoire des mots ou le choix du vocabulaire. Qui comprend trop comprend moins.
Les trois langues les plus difficiles à apprendre sont, parait-il, le russe, le grec ancien et l’arabe (pas nécessairement dans l’ordre). Bonne persévérance dans tes conquêtes linguistiques !
Je pense depuis longtemps que la poésie va mieux au français et la chanson valorisait l’anglais. Moi aussi, j’ai été outré d’entendre des traductions… par exemple la reprise de “The sound of silence” de Simon and Garfunkel “Hello Darkness my old friend, I’ve come to talk with you again” par “Il faut laisser chanter, les petits oiseaux dans les champs de pré…” j’en ai encore de mauvais frissons!
Ouais, c’est dur être bilingue des fois… La traduction «aucun rapport» par Rod McKuen de la chanson Le Moribond de Jacques Brel :
–
C’est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais je pars aux fleurs la paix dans l’âme
Car vu que t’es bon comme du pain blanc
Je sais que tu prendras soin de ma femme
Je veux qu’on rie, je veux qu’on danse
Je veux qu’on s’amuse comme des fous
Je veux qu’on rie, je veux qu’on danse
Quand c’est qu’on me mettra dans le trou
–
Goodbye my friend, it’s hard to die
When all the birds are singing in the sky
Now that the spring is in the air
Pretty girls are everywhere
Think of me and I’ll be there
We had joy, we had fun
We had seasons in the sun
But the hills that we climbed
Were just seasons out of time