Comme bien des enfants de huit ans, j’emplissais mes poches de trouvailles fabuleuses glanées lors de mes explorations dans les alentours d’Alfred : un caillou plat, un tareau rouillé, une mâchoire d’écureuil ou de rat, un carton d’allumettes d’un hôtel d’Ottawa… Mais les trésors que je convoitais, c’étaient les bouts de corde, comme des lacets brisés. Une passion qui m’a suivi toute la vie. (Parlez-en à ma pauvre blonde que j’ai soumise à tant d’arrêts pour trouver des bouts de corde sur les côtes du Nouveau-Brunswick).
J’ai dû trouver des usages pour ces bouts de corde, mais je me souviens d’un seul : attacher le bas de mes culottes qui se coinçaient dans la chaîne de mon bicycle..
Mon premier nœud s’appelait un nœud. J’ai su plus tard que c’était un nœud de vache (ABoK #1206), un nœud à proscrire qu’il fallait remplacer par un nœud plat (ABoK #1204). Mon deuxième m’a rempli de fierté puisqu’il me permettait d’attacher les lacets de mes souliers sans aide. On l’appelait une boucle mais c’était de fait un nœud de rosette (ABoK #1214). On s’en servait aussi pour attacher des paquets. Dans ce cas, il fallait être deux : une grande sœur pour faire la boucle et un petit frère pour se faire pincer l’index en maintenant la pression sur le premier croisement (Mets ton doigt là !).
Mon troisième nœud marquait un autre passage important dans la vie d’un garçon (ex aequo avec le premier rasoir) : le nœud de cravate (ABoK #2408).
Puis il y a eu les scouts où mon vocabulaire de nœuds s’est soudainement enrichi de plusieurs dizaines d’entrées : nœuds de chaise, de jambe-de-chien, de patte d’oie, de tête d’alouette, de charpentier, de meunier, d’évadé, les tressages, les brêlages, etc.
Bien des années plus tard, une découverte fortuite m’a propulsé dans les hautes sphères du grand art des nœuds. Elle m’a fait voir le lien étroit entre les fines dentelles de ma mère et les lignes dormantes de pêche à la barbue de mon père, entre les cordes de l’alpiniste et les cordages du marin, entre le nœud du chirurgien et celui du charcutier.
Clifford W. Ashley a publié en 1944 une véritable encyclopédie des nœuds intitulée simplement The Ashley Book of Knots, connue sous l’acronyme ABoK chez les noueurs. On dit de ce livre que c’est l’œuvre d’une vie, parce que M. Ashley a chassé des nœuds dans toutes les sphères de l’activité humaine et que pendant les 12 dernières années de sa vie il les a identifiés, distingués, répertoriés, expliqués et illustrés. Le résultat est un bouquin de 610 pages, 3854 nœuds et environ 7000 illustrations.
Il y a ce nœud que M. Ashley nomme lanyard knot mais que d’autres ont nommé Diamond knot, Knife lanyard knot, Sailor’s knife lanyard knot, Marlinspike lanyard knot, Single-strand diamond knot, Two-strand diamond knot, Bosun’s whistle knot, Friendship knot. Et en français on dit nœud de sifflet de bosco, nœud de diamant, nœud de dragonne, ou nœud lotus. C’est la tour de Babel, quoi. Grâce à M. Ashley on s’entend maintenant sur ABoK #787. D’accord, c’est beaucoup moins beau, mais au moins c’est clair.
La photo du haut est mon dessus de table embarrassé de noeuds décoratifs. J’aime les laisser traîner pour ne pas les oublier. Les noeuds sont comme les flammèches…
Une réponse
J’adore!