Elle répétait sans cesse les mêmes simagrées avec ses mains, méthodiquement, les doigts s’étirant dans tous les sens. Ma mère, victime d’Alzheimer, vivait ses derniers jours à l’hôpital. On avait vu la démence s’installer au fil des mois et ces simagrées en étaient une manifestation de plus.
Mais non. Quand sa sœur est venu lui rendre visite, elle nous a bien vite corrigés. Ma mère faisait du tatting, comme elle en avait tant fait dans sa jeunesse. Cette fois sans fil et sans navette. Ma mère était une frivoleuse !
La frivolité, ou tatting, est une dentelle dite mineure utilisée initialement comme bordure ou frange à des cols, des châles ou encore des napperons. Jusqu’au XIXe siècle, on disait simplement « faire des nœuds ». La technique prendrait ses origines dans le nouage de filets ou de franges décoratives dans le monde maritime et s’apparente plus au macramé qu’à la couture. En effet, macramé et frivolité ont un point en commun (littéralement !).
Le nœud de base est la demi-clé. Une alternance de deux demi-clés, l’une à gauche et l’autre à droite, donne un nœud qui, dans le monde du matelotage, est le nœud tête d’alouette. En frivolité, on l’appelle le double nœud, en broderie et en macramé c’est le double feston et au crochet c’est un double crochetage. Les frivoleuses ou frivoleurs se servent habituellement d’une navette pour faire les points rapidement quoique le crochet ou l’aiguille peuvent être utilisés.
La principale caractéristique de la frivolité, et ce qui la rend fascinante à mes yeux est le « transfert » du nœud. Essayez-le ! Avec une corde A, faites une demi-clé autour d’une corde B comme dans la première image ci-haut. Tirez fort sur les deux bouts de la corde A pour la raidir et la demi-clé se formera sur la corde B. Chez les frivoleuses sérieuses, l’opération se fait très rapidement et tous les doigts sont mis à contribution. (Voir un tutoriel de J. Pandore)
Partie d’un dessus de table réalisé à la navette et au crochet par Géraldine Caron (ma mère) en 1925, environ. Huit rosettes de 15 cm ont été cousues à un tissu central. C’est le seul « ouvrage » de ce genre qu’il nous reste de ma mère, malheureusement.
Source première:
Fiche d’inventaire du patrimoine culturel immatériel en France
L’image d’en-tête vient de la couverture d’un feuillet publicitaire:
De point en point présente L’Art de la Frivolite No. D,
Montreal, The Canadian Spool Cotton Co., [c.1945] 5 pgs.
Antique Pattern Library
Les mains de la frivoleuse sont sorties de:
Encyclopédie des ouvrages de dames
Dillmont, Thérèse de (1846-1890)
Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, 8-V-27008
Les trois photos de nœuds sont de moi-même.
Navette, aiguille et crochet de frivolité par Corinne Joublot
Le Repas chez Levi est une peinture de l’artiste italien Paolo Caliari, dit Véronèse en 1573.