Dustsceawung – ou l’Anglo-Saxon en moi

J’ai trouvé ça dans X. J’ignorais que j’avais de l’Anglo-Saxon en moi, que mon sens de la précarité des êtres et des choses remontait à l’Angleterre (faudrait-il dire l’Angle-Terre ?) d’avant Guillaume le Conquérant. (Lire le texte dans la saisie d’écran à droite.)

Lorsque vous prenez plaisir à suivre les errances et les culbutes des grains de poussières dans un rayon de soleil, vous pratiquez ce qu’en vieil anglais on appelait la dustsceawung, ou, pour utiliser un idiôme plus récent, le dust-watching. Ce qui démontre de façon évidente que les Angles et les Saxons qui ont envahi la (Grande-)Bretagne après le départ des Romains au Ve s. étaient accessibles aux sentiments éthérés et délicats et que leur pleine conscience de la fugacité universelle à laquelle rien n’échappe les avaient amené à expérimenter ce que leurs descendants appelleraient le blues.

Je suis fier de m’inscrire dans cette tradition ainsi qu’en témoignent les lignes qui suivent, tirées de ma nouvelle « Blâme unanime », incluse dans le recueil Une année julienne :

Des poussières s’ébattent dans un rayon de lumière. C’est le changement de saison ; le soleil n’avait jamais visité la fenêtre de mon cubicule jusqu’à cette matinée. Elles dérivent avec mollesse tandis que d’invisibles remous modifient leur trajectoire ; elles se croisent, sans destination ou finalité commune, apparaissant et disparaissant selon la prise que leurs pirouettes offrent à la lumière.
[…]
Ma brusque arrivée perturbe la somnambulique errance des grains de poussière auxquels le soleil confère une brève et fugitive réalité. Certaines de ces éphémères poussent le luxe jusqu’à émettre des éclairs blancs ou jaunes. Moi qui croyais que toutes les poussières étaient grises. (« Blâme unanime », p. 30 et 34 ; lien à droite)

Mais l’usure inéluctable des êtres et des choses ne les conduit pas toujours directement vers la poussière : un stade granuleux est possible aussi :

Grain par grain, les trottoirs se désagrégeaient sous mes ronds talons. L’entropie universelle avait recruté en moi une alliée ; le ciment, après tout, n’est que du sable immobilisé, non ? L’univers s’effritait. Une preuve ? Tenez : la veille au soir, une étoile filante, poussière aussi ancienne que le système solaire, s’était consumée dans le ciel.
(« Été grisâtre ou souvenir d’adolescence », p. 47 ; lien à droite)

Quel plaisir d’avoir pu dépoussiérer le vieil Anglo-Saxon enfoui en moi. Et vous, avez-vous un vieil Anglo-Saxon dissimulé en vous ?

Commentaires 2

  • Et quel plaisir de vous lire !

    Après la lecture, j’ai été m’abonner au compte @wilfćen sur X pour découvrir davantage le vieil anglais!

    Merci d’avoir pris le temps de dépoussiérer le vieil Anglo-Saxon
    enfoui en vous.

    Reste à découvrir le mien…

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