Jeune femme à la perle

Nouvelle extraite du recueil UNE ANNÉE JULIENNE AVEC NOËLLE.

La narration est assurée tour à tour par l’un ou l’autre des deux personnages éponymes, JULIEN ou NOËLLE. Voir pour en savoir plus sur ces jeunes protagonistes, lire « PRÉSENTATIONS » ; la nouvelle qui ouvre le recueil et qui lui donne son nom, « UNE ANNÉE JULIENNE », est aussi disponible dans le blogue. Les autres nouvelles mises en ligne sont accessibles par ce LIEN.

Publication prévue en février 2023, Henri Lessard, éditeur, dans la collection du Circonvolu. Voir la page de la collection dans le blogue (LIEN).

ISBN 978-2-9821444-0-8 (PDF)
ISBN 978-2-9821444-1-5 (ePub)
ISBN 978-2-9821444-2-2 (papier)

© Henri Lessard, CopyrightDepot.com no 00072068

© Copyright Henri Lessard, manuscrit déposé à la SARTEC le 21 mai 2021, certificat no 34490.

Jeune femme à la perle ou gaspillage

  • Il y a longtemps que je pensais faire quelque chose à partir de la chanson la Religieuse, de Georges Brassens (lien Youtube). Voilà qui est fait ! Mon texte est cependant plus pervers que celui de Brassens. Les emprunts à sa chanson sont signalés par un astérisque (*).

Note. – NOËLLE est la narratrice de la présente histoire. (Dans la mesure où elle se parle à elle-même, elle en est aussi l’auditrice.)

Après la douche, la pénitence de la vêture, l’épreuve de la pelure qu’il faut endosser si l’on veut aller dans le monde. Pour quelques instants encore, je peux déambuler nue dans mon logement, cheveux tout frais épongés – en tournant sur moi-même, j’asperge de gouttelettes le grand miroir de ma chambre.

D’ultimes perles d’eau s’écoulent des mèches plaquées sur mes délicates clavicules : leur réseau contourne mes seins, les plus téméraires risquant le plongeon dans le vide depuis le bout des mamelons. Je pivote et tourne la tête pour apprécier mes fesses dans la psyché. Beau miroir, qu’as-tu à m’apprendre sur cette partie de moi-même qui me tourne perpétuellement le dos ?

« La cambrure des reins, ça, c’est une trouvaille (*) ! »

(Il a fallu que je souffle son avis à la glace.)

Je me retourne.

« Bravo, Seigneur, c’est du joli travail (*) ! » J’en rougis. Pourtant, il n’y a personne pour me voir, mais penser qu’il n’y a personne, c’est déjà s’imaginer qu’il pourrait y avoir quelqu’un. Mes tétins jaillissent et j’en rougis encore plus. Pudique que je suis !

J’ai remis au cou la petite perle suspendue à une chaînette en or. Cadeau de…, de qui déjà ? Si quelqu’un me prenait en photo (mais il n’y a personne), il pourrait titrer Nu avec accessoire ou Jeune fille à la perle.

Je m’attarde avec moi-même (en chair et en os) et avec mon reflet (pure lumière). Le bout de mes doigts se promène ici et là ; mes paumes trouvent chaque creux, chaque surface, chaque rondeur taillée à leur mesure. Des pulsations délicieuses sourdent de mon clitoris. Ce petit organe clandestin fait des efforts insensés pour se manifester, tant il a peur qu’on l’oublie.

« Aaaah. »

Non ! ce n’est pas le moment. Mon autobus ne patientera pas sous prétexte que, tête renversée, yeux révulsés, bouche entrouverte, chair toute en spasmes, derme tout en frissons et que, perlant de l’intérieur d’une autre moiteur que celle de la douche – j’anticipe un peu sur la suite des événements –, je pose dans la glace en sainte Thérèse dépouillée de ses draps.

Reprenons notre souffle. N’empêche, bravo, Seigneur, c’est du joli travail (*) !

Maquillage léger, rouge à lèvres discret – entre-temps, mon teint a retrouvé sa carnation normale. Je tête-à-tête avec moi-même ; je laisse à peu de gens le privilège de plonger leurs yeux dans le bleu limpide de mes mirettes comme je le fais en ce moment. Ah, quand les regards se croisent, se prolongent ; les hormones percolent du sexe au cerveau, des neurones prennent feu, les bouches se touchent…

Coups de brosse. Je soulève ma chevelure. On annonce une vague de chaleur, un chignon me débarrassera de leur masse. La courbe de la nuque, jolie trouvaille aussi… Le corps féminin est tout en courbes qui s’arrondissent, s’élancent ou se cambrent.

Il faut pourtant se résoudre à l’habiller, ce mien corps féminin qui use et abuse de sa propriétaire. Un peu de sérieux, lui dis-je !

Parfum. Je n’aurai ici que le loisir d’apprécier la note de tête, le temps file, tant pis pour la note de cœur. Jupe noire à fleurs blanches achetée dans une friperie. Celle qui l’a portée avant moi se mire peut-être nue dans sa glace en ce moment. Ou bien des mains qui ne sont pas les siennes courent sur son corps, des lèvres qui…

Du sérieux, ma fille ! Du sérieux ! Personne ne baise un lundi matin à huit heures moins quart. Surtout quand il faut prendre l’autobus de moins cinq.

La beauté est un gaspillage. Toujours présente, et pourquoi ? Pour rien la plupart du temps. Si la nature était conséquente, les femmes ne connaîtraient que les caresses continuelles réclamées par leur beauté perpétuelle. (Je ne cesse pas d’être belle même en dormant, même dans le noir, non ? Gaspillage ! Gaspillage, vous dis-je !) Mais bon, le soleil dispense lui aussi son rayonnement en pure perte dans l’espace.

Pas de soutien-gorge aujourd’hui. La perle jouera au ping-pong sur mon gilet entre mes seins. Son éclat nacré sera le miroir de mon immense candeur.

Sandales, sacoche, verres fumés – pour zieuter à gauche et à droite, ni vue ni connue.

Dernières retouches inquiètes dans la glace du vestibule.

Une fois descendue de l’ascenseur, je me répète : « Je suis une jeune femme sérieuse, je suis… » tandis que le soleil, comme toujours, disperse son énergie en pure perte dans l’espace.

La nature n’est que gaspillage.

La perle, ça me revient, c’était un cadeau de moi à moi, évidemment.

Texte primitivement paru dans le blogue Balour Dix le 21 avril 2021 (lien).

Coda

Ne jetez pas les perles aux pourceaux.

Je dis ça comme ça.

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