Amor ipsi

« … l’injonction qui consiste à aimer autrui comme soi-même […] est trop contraire à la nature humaine pour être sincèrement obéie par le vulgaire, qui n’aimera jamais que soi, et ne convient nullement au sage, qui ne s’aime pas particulièrement soi-même. » Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, 1958, Gallimard, coll. « Folio », no 921, p. 240.

On parle souvent de la nécessité de s’aimer soi-même comme si c’était quelque chose qui devrait présider tout naturellement à nos vies. En fait, la vérité est que les gens ne s’aiment pas. Personne ne s’aime. L’instinct de conservation fait illusion ici. On tient à sa peau, sans grand amour pour soi. La vanité, qui n’est pas non plus de l’amour de soi, a mauvaise presse, à tort. Elle n’est que la sensibilité attentive aux variations (à la hausse ou à la baisse) de notre position sociale. Les enfants dans la cour de l’école le savent bien. Celui qui se laisse moquer signale qu’il peut être impunément ridiculisé et se retrouve au bas de la hiérarchie. Il faut donc casser la figure de celui qui se moque de nous (et qui se récrie à ces mots ne comprend rien à la nature humaine). L’individu maladroit, brusque ou désagréable ignore qu’il faut (se) masquer le jeu de ses instincts – qui, eux, en coulisses, jouent un jeu sérieux et ne blaguent pas.

En cherchant au fond de soi, on trouve peu de raison de s’aimer. Il n’y a d’ailleurs aucun fond à la nature humaine ; comme la cible qui ne se laisse jamais toucher parce qu’il reste toujours une moitié du trajet à franchir avant de l’atteindre, notre fond est inaccessible – en plus d’être illusoire. Parce qu’il fait noir au fond de nous on imagine qu’on y verrait s’il y avait de la lumière ; la lumière s’épuiserait à atteindre les limites de ce vide. Mis à part nos instincts, réflexes, habiletés, que sommes-nous ? Les autres me donnent une impression convaincante de réalité ; pour moi-même, le scepticisme me semble de mise.

« L’homme parfait, chez les païens, était la perfection de l’homme tel qu’il est ; l’homme parfait des chrétiens, la perfection de l’homme tel qu’il n’est pas ; l’homme parfait des bouddhistes, la perfection d’un état où il n’y a pas d’homme. » Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquilité, trad. Françoise Laye, Christian Bourgeois éditeur, 1988, fragment no 134, p. 230.

L’amour de soi, devoir imposé à une humanité telle qu’elle ne sera jamais.

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