Un dilemme éthique

Après des débuts dans l’humanitaire, à l’étranger, au sein d’une ONG internationale de développement communautaire centré sur l’enfant, je travaille dans le secteur de la petite enfance au Canada depuis 2008, notamment à titre de superviseur agréé en Ontario. Mon expertise dans le domaine de l’enfance est tirée d’un nombre complexe d’expériences relatives à la connaissance des enfants, de leur développement, de leur personnalité, de leurs besoins individuels, aux interventions, au programme d’activités, à l’éducation et à la psychologie de l’enfant…

Je sais, par exemple, qu’« après le repas du midi, les enfants montrent généralement des signes de fatigue, qui peuvent se manifester par une baisse d’attention, de l’apathie, de l’irritabilité et même de l’agitation » (Malenfant, 2006, p. 179). « Cette période correspond à un moment où la propension au sommeil est la plus grande et où se trouvent réduites les performances intellectuelles et physiques chez les personnes de tous âges » (Challamel et Thirion, p. 86 et site Prosom). Et les spécialistes des rythmes biologiques le confirment. De plus, un enfant fatigué se comporte mal !

Pourtant, la mère d’un enfant d’âge préscolaire, qui est sous ma surveillance professionnelle depuis plus d’un trimestre, m’approche pour me demander de supprimer la sieste de celui-ci, car elle et son conjoint éprouvent beaucoup de difficultés à l’endormir le soir. Or, mes observations me portent à croire que l’enfant a vraiment besoin de << siester >>. En effet, il s’assoupit moins de quinze minutes après le début de la sieste, d’une durée maximale de deux heures. Plus précisément, il fait partie des grands dormeurs de son groupe. Face à ce dilemme (mon dilemme), une question s’impose : Que dois-je faire ?

L’analyse de mon dilemme en cinq étapes :

Étape 1

La question : Est-ce que je continue de répondre positivement aux parents ou aux besoins de l’enfant ?

Les deux solutions possibles :

Solution 1 : Je continue de répondre positivement aux parents.

Solution 2 : Je continue de répondre positivement aux besoins de l’enfant.

Étape 2

Qui pourra être affecté par la solution que j’aurai choisie ?

  • L’enfant
  • Les parents de l’enfant
  • Les autres enfants
  • Mes collègues
  • Moi.

Étape 3

Les éléments contradictoires :

1. Si je continue de répondre positivement aux parents, je continuerai aussi de respecter la confiance qu’ils ont placée en moi. COMMENT ?  Qu’ils soient présents ou absents, j’agis conformément au respect de leur confiance. En effet, l’une des valeurs fondamentales de la profession éducative est la confiance.

2. Si je continue de répondre positivement aux besoins de l’enfant, notamment par rapport à la sieste, je ne respecterai pas la confiance des parents, mais pour une bonne cause : le bien-être de leur enfant. COMMENT ? Je fais le contraire de ce qu’ils m’ont dit par rapport à la sieste, mais dans l’intérêt de leur enfant.

Les valeurs opposées ici sont la confiance et la bienveillance.

Étape 4

Quelle est la meilleure solution ?

Si je choisis la première solution, en répondant positivement aux parents, l’impact pourra être positif pour eux seulement, mais il ne le sera ni pour leur enfant, qui a besoin d’une sieste diurne, ni pour le personnel éducateur, dont la responsabilité première est le bien-être, l’apprentissage et la garde de tous les enfants qui lui sont confiés, conformément au code de déontologie (Code de déontologie et normes d’exercice, 2017, p. 7). Cette solution pourrait avoir également un impact négatif sur les autres enfants, qui aiment imiter leurs pairs.

Si je choisis la deuxième solution, en répondant au besoin de sieste qu’éprouve l’enfant, j’assurerai le bien-être de celui-ci. De plus, je démontrerai que son intérêt passe avant tout, car « les personnes qui s’occupent d’enfants en bas âge s’entendent pour reconnaître la nécessité de la sieste ou d’une relaxation au cours de la journée » (Malenfant, 2006, p. 179). Cet argument m’incite à choisir et à appliquer la deuxième solution, qui aura un impact positif sur toutes les personnes concernées, sauf les parents (peut-être). De plus, il est bien connu que la sieste diurne n’affecte pas le sommeil nocturne.

Étape 5

Quelle mesure vais-je prendre pour mettre en œuvre la solution choisie ?

Je présenterai les faits directement aux parents, sur la base d’un partage de pratiques et de ressources, pour les convaincre que leur enfant a vraiment besoin de la sieste diurne. Également, je leur suggèrerai d’établir une routine du coucher pour le compte de l’enfant, à la maison, car la routine, dans un environnement positif, favorise les comportements convenables chez les jeunes enfants. La routine est aussi une question d’habitude et d’attitude.

En conclusion, « le besoin de repos en mi-journée provient d’une fatigue normale qui n’est cependant pas l’apanage des jeunes enfants » (Malenfant, 2006, p. 179). Toutefois, il convient de souligner que certains enfants peuvent démontrer clairement qu’ils n’ont pas besoin de << siester >>, bien que celle-ci ne soit pas strictement synonyme de dodo, en services éducatifs. Elle peut signifier également repos ou répit (qui n’exige pas de lit forcément). Pourrions-nous continuer à dire que « chaque enfant est unique » si tous nos « tout-petits » devaient indistinctement avoir sommeil après le repas du midi ?

Bytchello Prévil, écrivain spécialisé dans l’éducation de la petite enfance et titulaire d’une prestigieuse bourse d’excellence scolaire en administration des services à l’enfance

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