
Saint-Exupéry a écrit un jour « On est de son enfance comme on est d’un pays ». En me parlant longuement de sa mère, mon amie Josée, qui a grandi comme moi dans le tout petit « pays » du lac des fées, m’a amenée à voir à quel point cette phrase avait du sens. Pour le meilleur, le pire, ou le « pas pire ».
La relation mère-fille peut être passablement chargée et le poids des tensions accumulées au fil des ans propice à un désir réel de changement. Josée, pour sa part, a décidé un jour de questionner sa mère sur la vie qu’elle avait eue en tant qu’enfant, adolescente, jeune adulte et femme. De ces conversations sont ressorties des histoires étonnantes, mais aussi des événements bouleversants du passé de sa mère.
Lucille était devenue une personne parfois dure et tranchante, mais avait d’abord été remarquablement brave, résiliente et déterminée.
Quand j’ai proposé l’idée de publier un texte sur Lucille, le choix n’a pas été évident à prime abord, mais celui-ci, écrit par Josée en guise d’hommage post-mortem à sa maman, m’a semblé parfait.



Lucille
C’est un beau nom
Je souhaite qu’il redevienne à la mode, car il fait appel à la lumière et la lucidité – nous en avons bien besoin par les temps qui courent
Lucille
Femme forte et fière
Déterminée, indépendante, vaillante, combative et… impulsive
C’était une belle femme … plus jeune, elle pouvait ressembler à Jeanne Moreau
Élégante et charmante, mais… avec une tendance « Dr Jekyll et Mr Hyde »… oui, oui… elle pouvait être parfaitement vilaine avec ses proches…
Maman, Mâmie, ma pt’ite maman
On s’est collées comme du scotch tape, jusqu’à ma crise d’adolescence où je me suis radicalement décollée par instinct de liberté et d’autonomie – la fille tient de sa mère après tout…
Beaucoup de conflits et d’incompréhensions en suivront
Avec la distance et la maturité, un autre lien s’est tissé avec cette étonnante Lucille
Orpheline, déracinée, isolée
Née à Gravelbourg en Saskatchewan
Une enfance marquée par des passages malheureux en orphelinat et en pensionnat, à Montréal, St-Jean d’Iberville et Lévis
Lucille fait son chemin sans parents, sans héritage, sans affection
Elle se débrouille et se défend avec la force de son caractère.
Jeune adulte à la fin des années 30, elle aura des occasions de rencontres amicales et amoureuses, tout en occupant des emplois à Québec, Gravelbourg et Sherbrooke.
En quête de stabilité et de protection, elle fait le choix d’un mariage de raison, un mariage amical avec Gabriel Belleau, mon papa…
Atterrissage dans l’Outaouais, nouvelle contrée, apprentissage sur le tas de la maternité et du travail de femme au foyer.
Maman se trouve de nouveaux repères, au fur et à mesure. Elle gère le budget familial d’une main de maître, tout en planifiant son propre avenir avec stratégie.
Au tournant de la cinquantaine, Lucille retourne sur le marché du travail, apprend à conduire, s’achète un char à transmission manuelle, fréquente les musées et fait des voyages. Sa vraie nature s’expose et s’affirme, du moins à mes yeux.
En rétrospective, je pense qu’après la mort prématurée de Papa, c’est la période de sa vie où elle peut enfin vivre pleinement plusieurs de ses aspirations et intérêts personnels.
Et puis, arrive cette étape qu’on nomme le vieillissement. Arthrose, arthrite se mettent au travers de sa mobilité et de son énergie.
Elle ralentit donc peu à peu. Elle fait des chutes, des syncopes et des ischémies, malgré tout elle s’accroche et demeure vive d’esprit pendant longtemps.
Chère maman, dans les dernières années, tu m’as partagé tes angoisses et tes doutes. Tu m’as même dit que j’étais ton « ange de la consolation ».
Je suis rassurée que malgré le trouble et l’inconfort de ta dernière urgence-santé, tu es finalement partie paisiblement. Je pense à toi tous les jours avec beaucoup de tendresse.



Lucille, Josée et son frère en 1956; la maison familiale; en route vers le lac des fées.
Je remercie Makamukio, Foto-Rabe et Filipes pour les trois photos centrales libres de droit.