J’ai beaucoup aimé la série de billets récents de notre ami Jean-Pierrre Béland sur l’histoire [autour] du Violon de Simone, c’est-à-dire le violon dont jouait Simone, sa mère.
J’ai particulièrement apprécié le premier billet Le violon de Simone 1 , tant par son histoire que par le dilemme qui se présente à Jean-Pierre – quoi faire en effet d’un vieil instrument tout empreint d’histoire familiale, mais dont on ne joue pas ou plus soi-même ?
(Dans ma famille, c’était le vieux piano droit dont jouait ma mère et dont elle avait hérité de sa grand-mère, je crois. Donné à une amie d’une de mes sœurs, il a depuis longtemps disparu dans la brume ?)
J’ai aimé tout autant l’habillage graphique du billet, réalisé par Stéphanie. Le profil du violon, avec une percée vers l’étiquette et la «marque » putative du violon («Andrea Fiorini») – voir le billet 2 -, mais ce qui m’a surtout intrigué c’est le mystérieux extrait de partition qui nous est présenté en filigrane. Brava pour l’inventivité, Stéphanie !

En examinant de près ce qu’on peut entrevoir de la partition, on devine qu’il doit s’agir d’un Andante, pour violon au moins. On peut y observer des indications (de tempo et d’expression) en italien mais aussi en français (« doux avec suavité », etc.). Mais, quoi ?? Encore plus curieux, si on regarde de près dans le coin supérieur gauche, on y trouve en petits caractères deux mots et demi en russe !?
Heureusement, Jean-Pierre lève en partie le mystère en bas de page de son billet en nous apprenant qu’il s’agit bien d’un extrait de la partition de la Méditation de Thaïs tiré de l’opéra Thaïs de Jules Massenet (1842-1912). Une très jolie pièce au demeurant et qui ne doit pas être facile à interpréter ! Je comprends que cela ait été une des pièces fétiches de Simone !
Voyez d’ailleurs le témoignage touchant de Geneviève, nièce de Jean-Pierre et petite-fille de Simone : Le petit violon de grand-maman
En faisant quelques recherches sur l’Internet, on découvre qu’il s’agit en fait d’une édition russe de la partie pour violon d’un arrangement pour violon et piano de la pièce de la pièce de Massenet.
Musicalement, on constate que la pièce est écrite en ré majeur. (Mais je soupçonne des passages en mode mineur que je n’arrive pas encore à déchiffrer! )
On a donc en une seule page une belle partition avec des indications en trois langues, et on peut en profiter pour en apprendre un peu sur la musique dans chaque langue :
En Russe
(Je précise que je ne parle pas (encore?) le Russe, mais que je déchiffre à peu près l’alphabet cyrillique et que j’apprends un mot à la fois, au gré des pièces musicales et commentaires en russe que YouTube me propose assez souvent. )
À la longue, ça m’a permis de reconnaître certains noms de compositeurs comme Пётр Ильич Чайковский ou Д. Хостакович, et d’instruments musicaux comme скри́пка ou фортепиано . (À vous de deviner ou découvrir ! 😉

Du titre on voit que TAИC = “Thaïs” (le titre de l’opéra, pas le nom des habitants de la Thaïlande !)
et le site de traduction Reverso nous confirme que размышление (“razmyshleniye”) veut dire Méditation, mais aussi réflexion ou contemplation.
Et le sous-titre переложение для скрипки c фортепиано ?
переложение (“perelozheniye“) = Arrangement ou transcription
скрипки (“skrípki”) ou скрипка (“skrípka“) = Violon , selon la déclinaison grammaticale (le cas, comme en latin)
фортепиано (“fortepiano”) – Ça c’est curieux. – Petite digression à propos du piano et du piano-forte ou forte-piano.
Selon Wikipedia:
« En français, si piano peut désigner plus généralement n’importe quel instrument conçu depuis Bartolomeo Cristofori, on utilise le terme complet piano-forte pour l’instrument de conception ancienne (jusqu’au début du XIXe siècle), construit à l’époque ou de facture contemporaine mais selon un modèle ancien. […]
En russe en revanche, le piano moderne est toujours désigné par le terme « fortepiano » : « фортепиа́но ». ” [Fin de la digression]
En Italien,
On reconnaît dans la partition des indications habituelles de tempo, p.ex.cresc.[endo], rall. a tempo et d’expressivité dans le jeu – animando, poco a poco appassionato, et encore poco più appassionato, etc. La pièce se termine doucement sur l’indication un peu plus rare calmato.
Par contre, je ne joue pas du violon, et je n’avais pas encore rencontré les annotations «Sul A, Sul E …» sur une partition. Il semble que c’est une indication que pour les interprètes d’instruments à cordes. J’apprends que les 4 cordes d’un violon sont normalement accordées en quintes, de la plus grave sol (ou G), puis ré (ou D), la (ou A), à mi (E) la plus aiguë.
Alors l’indication “Sul E” (p.ex.) veut dire de jouer le passage (ou les notes) en question sur (la corde) de mi (E), ou A, ou D, ou G,…
En français,
On a rajouté encore d’autres indications de caractère de la pièce (« doux avec suavité ») ou d’expression (« expressif, cédez un peu, restez expressif…» ) Notez qu’il est possible que ces annotations en français soient de la main de Martin-Pierre MARSICK, violoniste d’origine belge qui a créé cette transcription de la Méditation de Thaïs.
Il reste une autre curiosité, sous la dernière ligne de la pièce (sous les mesures 3 et 4 de cette portée, avec ce la suraigu) :

“Chanterelle” ?? Quoi, il y aurait eu des champignons qui poussaient sur le violon de Simone ??
Ben non !: Selon le Wiktionnaire, la chanterelle c’est :
« (Musique): Corde d’un violon, d’une basse, etc., qui est la plus déliée et qui a le son le plus aigu. »
Donc pour un violon, la chanterelle c’est l’autre nom de la corde de mi . Joli, non ?
Et il existe même une expression française (pas très connue ici ?) :
« Appuyer sur la chanterelle », insister sur un point délicat, par exemple, pour convaincre des personnes qui résistent.
Bon, c’est bien beau une partition, mais on veut l’entendre cette belle musique!
En voici une version pour violon et orchestre par le grand violoniste israélien d’origine russe/soviétique Maxim Alexandrovich Vengerov (ou Максим Александрович Венгеров en russe ;-). J’aime bien cette version, parce que l’accompagnement de la harpe (Elizaveta Bushueva) est assez présent et bien audible :
Bien romantique…
Ah oui, pour les plus curieux, voici la partition au complet:

Sources: Stéphanie Pelot pour l’extrait graphique. (Merci!). violinsheetmusic.org pour la partition; YouTube pour l’enregistrement de M. Vengerov
Mathieu Joly. avril 2025
Quel travail de recherche et d’analyse! Je n’avais jamais considéré Thaïs sous cet angle-là. Faut dire que, dans ma famille, cette pièce occupe une place un peu sensible. Et d’écouter l’extrait a ramené beaucoup d’émotions. Merci pour le beau moment.
Un article foisonnant, bien documenté. Bravo!
Wow, quel beau texte! On sent ton plaisir à faire les recherches ( musicales et linguistiques) et à l’écrire. Bravo et merci