Les nœuds sacrés

Tableau de Donato Creti

Le nœud gordien est un nœud « divin et mystique, talismanique … un nœud cosmique, attribué à un dieu céleste ». Il rejoint la longue liste des nœuds sacrés « à la vertu desquels croient les populations de tous les temps et de tous les pays ».

En ancienne Phrygie, pays d’Asie Mineure, un paysan nommé Gordias devint roi à la suite d’un événement divinatoire et fonda la ville de Gordion. Plus tard, un autre paysan de Gordion, nommé Gordios cette fois, fut témoin d’une autre scène divinatoire : un aigle s’était posé toute une journée sur le joug de sa charrette.
À partir d’ici, les nombreuses légendes s’entremêlent : un véritable nœud gordien! Celle qu’on connaît le mieux raconte que quiconque réussirait à défaire le nœud du char de Gordios deviendrait roi de l’empire. En attendant, le char de Gordios fut remisé dans un temple par son fils Midas.
Toujours est-il qu’Alexandre le Grand, ayant connu cette légende, demanda qu’on lui amène le char de Gordios. C’était au début de l’an 333 av. J.-C.. Au lieu de le défaire, Alexandre le Grand aurait tranché le nœud d’un coup d’épée, obtenant ainsi la légitimité de conquérir l’Empire d’Asie.

Selon Plutarque, qui a relaté la légende 400 ans plus tard, le nœud gordien est un nœud végétal, sans début ni fin, en écorce de cornouiller. Le cornouiller était un bois sacré à cette époque, utilisé dans les armements. Le cheval de Troie était en bois de cornouiller.

Mais les légendes ont le don d’escamoter la réalité. Comment une charrette de paysan attelée à des bêtes de trait est-elle devenue un char royal attelé à des chevaux? Pourquoi le joug des animaux était-il fixé au timon de la charrette par un ruban d’écorce au lieu d’une cheville ou d’un anneau? Comment le nœud a-t-il pu être noué s’il n’avait ni début ni fin?

Waldemar Deonna1, un archéologue et historien suisse, a proposé une autre interprétation. La légende du nœud gordien n’est que ça, une légende et le nœud n’est pas réel. C’est un thème mythique qu’on retrouve dans d’autres cultures et civilisations. Il est associé à trois puissants symboles sacrés liés à des divinités: le char, l’oiseau et l’arbre. Chez les Grecs, par exemple, c’est le char d’Apollon, l’aigle de Zeus et le cornouiller.

Le nœud gordien est un nœud « divin et mystique, talismanique … un nœud cosmique, attribué à un dieu céleste ». Il rejoint la longue liste des nœuds sacrés « à la vertu desquels croient les populations de tous les temps et de tous les pays ». Toutefois, il est une abstraction et n’a pas d’identité visuelle propre. Dans les Arts, on s’est contenté de n’importe quel entrelacement de cordes pour le représenter.

Réception du roi Mou

par la Si wan mou,

divinité taoïste.

L’art chinois,

Stephen W. BUSHELL

(1844-1908) 

Noter la ressemblance : le char, les oiseaux et l’arbre noué reliant le cheval et le char.

Réception du roi Mou
Les autres nœuds sacrés, incluant les tresses et les torsades, sont davantage des signes, des formes ou des symboles. Ces nœuds n’ont ni commencement ni fin et ont un aspect végétal ou organique. On les retrouve un peu partout dans l’histoire de l’humanité. En voici quelques-uns.

Ouroboros, le serpent qui mange sa queue, dans sa version lemniscate.
Un des plus anciens symboles qu’on a retrouvé sur tous les continents. Il symbolise le cycle du temps. Le symbole infini a pour sa part été inventé par un mathématicien au XVIIe siècle.

Aymbole infini
La triquetra, ou nœud de trèfle symbolise tout ensemble de trois, comme la Trinité ou la triplicité Terre, Mer et Ciel. Le symbole est commun dans l’art hiberno-saxon. Le Valknut en est une variation associée au dieu scandinave Odin. Il évoque la vaillance et la mort libératrice.

La triquetra, ou nœud de trèfle symbolise tout ensemble de trois, comme la Trinité ou la triplicité Terre, Mer et Ciel. Le symbole est commun dans l’art hiberno-saxon.
Le Valknut en est une variation associée au dieu scandinave Odin. Il évoque la vaillance et la mort libératrice.

Valknut

Le nœud de Salomon est un symbole des plus anciens et des plus répandus. Il se retrouve dans la plupart des civilisations depuis l’âge de la pierre. Il est associé à l’éternité, à l’amour ou au lien avec la divinité. Il s’apparente au swastika, un vieux signe religieux d’Asie.
À droite, reproduction d’un coquillage gravé datant le l’époque précolombienne retrouvé sur un site archéologique au Tennessee USA.

Noeud de Dara

Le nœud de Dara est une famille de nœuds sans fin pseudoceltiques qui représente les racines du chêne. Il symbolise la force, la résilience et le courage. Ces symboles datent des migrations des peuples germaniques (invasions barbares) au début du premier millénaire. Ils sont maintenant très répandus, entre autres dans les salons de tatouages! La Croix celtique du canal Rideau est un monument commémoratif situé à Ottawa, érigé à la mémoire des ouvriers et de leurs familles qui sont morts en construisant le canal Rideau entre 1826 et 1832.

La croix celtique

Le nœud infini est associé au bouddhisme tibétain. Il est un symbole d’amour, de sagesse et de compassion. Il est très répandu, en Asie particulièrement. En Mongolie, on le retrouve même sur l’uniforme cérémonial des forces armées.

Uniforme cérémonial

Image d’en-tête : Alexandre coupant le nœud gordien, Donato Creti (1671-1749). Pinacoteca Nazionale di Bologna au Palazzo Pepoli Campogrande. Photo Saiko, 2014. Reproduction à des fins personnelles permise.

Si on connaît le nœud gordien, c’est surtout dû à l’expression « trancher le nœud gordien » qui propose une solution radicale à un problème apparemment insoluble. Ce tableau de Donato Creti traduit magnifiquement le courage et la détermination que le geste demande.

1 Waldemar DeonnaLe Nœud gordien, Revue des études grecques, vol. 31, no 141,‎ 1918.

Le coquillage gravé: The mound builders: their works and relics (1892) p. 301. La civilisation du Mississippi (ou culture mississippienne) occupait le centre des États-Unis entre les IXe et XVIIe siècles.

Les autres images sont toutes du domaine public.

3 réponses

  1. J’ignorais ces détails à propos du nœud gordien. On m’avait dit que la symbolique était que, pour dénouer une situation inextricable, il fallait faire comme Alexandre, trancher, et apporter la lumière que les complications obscurcissent.
    La reine devrait-elle troquer le carrosse de son jubilé contre une charrette de paysan ?
    Un certain Julien d’Huy est parvenu à dresser l’arbre généalogique des principaux mythes de l’humanité. Il a pu remonter ainsi jusqu’à la Préhistoire, avant le peuplement des Amériques. (C’est du travail sérieux. Voir Google.) Si les mythes vous intéressent…

    1. La symbolique que nous connaissons réfère à l’expression« trancher le nœud gordien ». J’ai cru comprendre qu’à l’origine, l’important était le geste qui donnait à Alexandre la légitimité de ses conquêtes. Ç’aurait pu être manger un melon en moins de 5 secondes, si telle avait été le souhait de l’oracle. Mais c’est la beauté des légendes, on les crée parce qu’on en a besoin. Y a-t-il d’autres expressions qui traduisent aussi bien nos tourments devant des situations difficiles?
      Lancer la serviette? Brasser les cartes? Se donner une nouvelle main? Advienne que pourra? Qui vivra verra? Faut faire ce qu’il faut? Hop, hop, hop?

  2. Très beau texte! Et je ne connaissais pas l’expression… hum, il faut maintenant que je trouve une situation où je pourrai l’utiliser.

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