Noce et autres plongeons

Enfin paru, la suite d’Une année julienne ! Le dépôt légal a été fait à BANQ (30 déc. 2024). Le recueil (fichier pdf) est disponible gratuitement chez l’auteur ou téléchargeable directement à la BANQ (lien). (Pour Une année julienne, voir à la fin de la « Présentation ».)

NOCE ET AUTRES PLONGEONS

suivi de GALETS

Nouvelles
Collection du Circonvolu

Henri Lessard, auteur et éditeur

ISBN 978-2-9821444-1-5 (PDF)
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2024

CopyrightDepot.com no 00091542-1, 14 octobre 2024

Présentation

Julianne*, la protagoniste de Noce et autres plongeons, a dix-sept ans ou vingt et quelques années, sans qu’on puisse préciser davantage, selon le désordre des textes. Elle préfère les femmes, ne dédaigne pas les hommes et trouve les guêpes plus supportables que les photographes. Voilà, vous savez l’essentiel, en dire plus serait indiscret.

« Je demeure la fille rechigneuse, l’amie attentive, l’élève distraite que j’étais. La vie est un petit train qui va son petit train-train jusqu’au terminus. » (Extrait de « Laisser-partir », p. 55.)

« Vanité du bien-être. Que faire de cette capacité de jouissance sous-jacente dont le frémissement est toujours perceptible dans la transparence du temps qui passe ? » (Extrait de « Motel Nordet », p. 17.)

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Les narratrices de Galets nous ramènent au début des années 1970.

* Pour en savoir plus sur Julianne, reportez-vous au recueil Une année julienne suivi de Perséphone, nouvelles, 2023. Coll. « du Circonvolu ». (Téléchargeable gratuitement à BAnQ.)

Douze extraits

Dernière gorgée de café ; c’est l’instant où l’exquise volupté d’être débouche sur un sentiment de manque et de tristesse, de gaspillage. Vanité du bien-être. Que faire de cette capacité de jouissance sous-jacente dont le frémissement est toujours perceptible dans la transparence du temps qui passe ?


Hébert s’attarde juste le temps d’amener Chantale au faîte de ses capacités d’illumination. Les hormones percolent des ovaires jusqu’au visage qu’elles font flamber . La nappe phréatique suinte depuis les profondeurs ; l’eau à la bouche et pas seulement ! Ils vont se revoir en fin de semaine et je sens bien que, dans l’esprit de Chantale, un sommier doit s’attendre à bientôt se faire briser les reins.


Rosaline est photographe. Moi, les photographes m’énervent. Toujours inquiets de la mise au point, du temps d’obturation, de la lumière, de la distance focale, du cadrage ; de vrais « m’as-tu-vu avec mon bel équipement et mon souci de la perfection ! » L’idée de laisser les paysages et les gens en paix ne leur vient jamais à l’esprit.


Nager sous la pluie, à trente étages du sol. L’eau et le ciel ne faisaient qu’un ; quand je remontais à la surface, ma tête émergeait dans les nuées, à la source même de la pluie. Depuis l’extrémité du plongeoir, la vue portait sur l’espace balayé par les rafales ; des cataractes tombaient des nues, estompaient les édifices voisins, falaises reculées d’un autre rivage. Un instant, je pouvais croire que j’allais piquer du nez dans un vide vertigineux.


À m’ennuyer au congrès, à me plaquer contre des surfaces de verre, à devenir une ombre nue dans une serre climatisée, à être réduite en pixels sur des écrans, j’avais envie d’exister en trois dimensions, de retrouver poids et substance, d’être prise dans une étreinte et secouée de l’antique et banale manière que perpétuent les humains et qui les perpétue du même coup.


Lauralise est tirée à droite et à gauche. Les vieilles branches, les rameaux desséchés, les bourgeons et les jeunes pousses des deux familles embroussaillent la place. J’ai la sociabilité affable de l’indifférente, heureuse d’assister aux réjouissances sans en être.


Que les têtes sont lourdes ! Il leur faut le creux d’une épaule, la douceur d’un sein, l’accueil d’une hanche pour trouver le repos. Lentement, si lentement que nous aurions mis des heures, des jours, nous avons fait l’amour sans nous embrasser, laissant les caresses s’éterniser sans qu’elles ne débutent jamais. Les yeux se cherchent, les bras s’allongent, les mains découvrent toute surface, toute rondeur, taillée à leur paume. Je pris la main de Joséphine pour la guider jusqu’à mon sein – qui se dressa entre ses doigts. Pure réaction épidermique… Où tout cela nous mènera-t-il ? Joséphine darde un regard plein de consentements.


Vivre et mourir sont des actes involontaires. On vit, on meurt. Seule la décision de mourir relève de la volonté. Qu’y aura-t-il après ? Peut-être subsiste-t-il brièvement quelque chose, comme une bulle d’air conserve sa forme ronde et reste suspendue un court instant une fois éclatée la pellicule d’eau qui l’enserrait.


Personne n’entre dans un lit tout à fait de la même manière qu’une autre. Béatrice mit plus de temps que de coutume pour prendre place et se pencher sur moi. La chaîne de son pendentif accrocha ma gorge tandis que la veilleuse dessinait un liséré orangé sur une épaule, soulignait le contour d’un sein, d’une hanche ou révélait une surface pour, à la manière d’une vague, se retirer aussitôt, ombres et lumière se fuyant et se pourchassant tour à tour.


Il ne passait jamais personne après une certaine heure de la nuit ; un rare piéton, une voiture aux quinze minutes, véhicule aveugle à ce qui ne se place pas devant ses phares et qui roule, conduit par leur double faisceau comme un stupide taureau tiré par ses cornes. Les chats aimaient traverser lentement la chaussée en diagonale ou tout droit, à vive allure, surgissant de nulle part pour apparaître un quart de seconde dans la lumière d’un lampadaire et s’engloutir dans l’obscurité entre deux bungalows.


À cette époque, les téléphones étaient encore fixes, les femmes commençaient à avoir la bougeotte.


— Ce que je vais retenir de cet été, ce sont mes siestes de l’après-midi, dans le hamac, derrière la maison ; moments de flottement entre la veille et le sommeil, alors que tout baigne dans une lumière blanche ou grise, ou bleue, filtrée par mes cils entrouverts…