Le chemin qui mène au coït est pavé d’illusions et mène à bien des culs-de-sac. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir « Métro Flirt », la chronique du Journal Métro de Montréal où il est possible d’adresser un message destiné à telle ou telle personne qu’on brûle de revoir pour l’avoir croisée dans le métro ou l’autobus.
« Quelqu’un a attiré votre regard ? Vous désirez la ou le revoir ? Écrivez-lui et consultez les messages sur journalmetro.com/flirt ou sur Twitter /metroflirt. Surveillez bien cet espace, on parle peut-être de vous ! »
Non, mais, qui peut être assez fat pour vérifier si on parle de lui dans « Métro Flirt » ? Ou pour s’adresser à quelqu’un en espérant qu’il s’agisse d’une personne assez imbue d’elle-même pour vérifier si l’on parle d’elle ?
Le résultat est que les appels restent sans écho, seules les personnes en état de désir y publient des missives, les personnes désirées, ignorant qu’elles le sont, ne pensent même pas à vérifier la chose.
Si le fond des messages est prévisible (« tu es belle à couper le souffle, tu es éblouissante, viens prendre un café avec moi », etc.), la forme est caractérisée par un lyrisme échevelé, une syntaxe boiteuse et une orthographe catastrophique. La hâte et la nécessité d’être compris font que les clichés les plus éculés (cliché !) réapparaissent d’une missive à l’autre. Plusieurs hommes se croient obligés de parler de leur honnêteté et de leur empathie (on dit « bonne écoute »), ce qui produit l’effet inverse de celui recherché. Il est souvent question de regards captés, de sourires reçus. Il est inévitable que des regards se croisent dans les transports en commun, un sourire n’est souvent que politesse ou embarras – ou, simplement, vous étiez sur sa ligne de visée et il ne vous était pas adressé. C’est assez pour déclencher des enthousiasmes à sens unique. Certains s’enflamment facilement.
Le chemin qui mène au coït est pavé d’illusions et mène à bien des culs-de-sac, redisons-le. Mais certains s’enflamment facilement, redisons-le derechef.
Voulant m’inscrire dans ce genre littéraire nouveau pour moi, j’ai rédigé et publié quelques messages sur « Métro Flirt ». Le défi était de rester « dans le ton ».
Je ne m’attendais pas à recevoir de réponse. D’ailleurs, je n’en ai pas reçu. Y aurais-je donné suite ?…
J’ai signé mes messages Balthazar Tableraze, pseudonyme plein de classe. Voici les versions originales de mes brûlantes missives. Les numéros des autobus et leurs directions sont plausibles, sauf pour les messages demeurés inédits qui n’ont pas connu leur mise au point finale.
J’ai abandonné « Métro Flirt ». Pour parler dans le vide, les tribunes ne manquent pas.
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Hypocrite lectrice (cf. Baudelaire) du 24 Sherbrooke O de 6 h 45
Chaque matin, tu fais semblant de t’absorber dans la lecture d’un bête roman. Hypocrite beauté, derrière les persiennes de tes faux cils, tu es en réalité à l’affût des ravages que ton altière splendeur sème sur son passage. Entre tous les restes épars des pauvres êtres pulvérisés par l’attentat anatomique que perpétue ta présence parmi nous, n’as-tu pas remarqué à tes pieds pédicurés, et même manucurés, ce lambeau de chair qui palpite et s’agite dans ses derniers soubresauts : mon cœur.
- Publié dans « Métro Flirt » le 17 mai 2017.
Merveille de la ligne 10N des matins de semaines
Tu t’assois et je me dis c’est merveilleux, elle resplendit. Tu passes ta langue sur tes lèvres et je me dis tiens, c’est merveilleux, elle a une langue ! Ta main dans tes cheveux, comment avoir trouvé ça ? Tu respires, c’est merveilleux ; tu transformes l’oxygène en chaleur, ta poitrine se soulève, c’est merveilleux. Tu regardes par la fenêtre, quel ennui, penses-tu, quelle merveille ! que je pense. Merveilleux, tout chez toi est merveilleux, c’est merveilleux.
- Publié dans « Métro Flirt » le 11 mai 2017.
À la passagère du 55N de 8 h 15
Je suis monté à bord de l’autobus. Tu souriais ; ton sourire ne s’adressait pas à moi, je n’en fus que la victime collatérale. Depuis, je ne dors plus, je ne mange plus, je ne rêve même plus ; au lieu, je pense à toi. Sur les parois de ma cervelle brûlée par ton irradiance, ton image s’est fixée. Tu montes en flammes dans la nuit solitaire de mon esprit. L’espoir de t’arracher un regard confine à l’utopie. Pourtant, un signe de toi et j’aurai le courage de me ressaisir. Alors, j’oserai t’aborder.
Ou peut-être pas.
- Publié dans « Métro Flirt » le 3 mai 2017.
Obstacle (dans l’autobus X de 9 h 12)
Deux centimètres et quelques minces couches de vêtements séparaient nos épidermes. Debout dans l’autobus, tu t’es accrochée à la barre métallique ou mes mains venaient de laisser une pellicule de moiteur salée. Nos mollets se sont frôlés, j’ai presque plongé le nez dans ta chevelure. Pourquoi ta grosse sacoche s’est-elle interposée entre nous ?
- Inédit (et le restera).
Un petit effort s.v.p.
Certains jours, tu montes dans l’autobus, blonde, les lèvres très rouges ; d’autres fois, tu es une brune aux longs cheveux droits. Tes yeux sont bleus, ou verts, ou noirs. Exubérante ou préservant ton quant-à-soi, selon des caprices dont j’ignore la logique. Sur ta peau douce, la soie est papier sablé ; la brise est pataude et claudicante comparée à ta démarche. Ta voix…, ah, ta voix…, qu’en dire qui ne soit insuffisant ?
Pour tous ces jours que je passe à t’inventer, tu pourrais au moins faire l’effort d’exister et de venir à moi !
- Publié dans « Métro Flirt » je ne sais plus quand.
À la passagère de l’autobus 55 Nord de 8 h 15
Mon horaire change et je prendrai désormais le 55 Nord de 7 h 45. Pourrons-nous poursuivre ce tête-à-tête muet que nous entretenons depuis maintenant 4 ans, huit mois et cinq jours ? Je lirai mon journal, tu consulteras ta tablette, comme d’habitude. Maints vieux couples s’épanouissent dans une routine semblable. Nous permettras-tu de fêter bientôt dans l’autobus, à notre manière discrète, nos noces de bois ?
- Publié dans « Métro Flirt » le 3 mai 2017
Version revue d’un billet primitivement paru dans le blogue Balour Dix le le 23 juin 2017 (lien).