Concatenatio interrupta à Ottawa

L’autre jour, à Ottawa, coupant une intersection en diagonale, j’arrive à la rue Sparks. Là, une rangée de formes convexes alignées à même le sol attire mon attention.

Je me dis «Tiens, une nouvelle sculpture sur la rue Sparks ». Un regard circulaire, à la recherche du panneau explicatif, puis je me rends compte de ma méprise. Il n’y a pas de panneau, sauf celui que je me suis créé pour y tomber aussitôt. Il s’agissait de coquilles de protection destinés à ceinturer la base de poteaux de granit courant le long de la voie publique.

Concatenatio interrupta, ou
travaux d’entretien
?

Le plus étrange dans cette histoire, c’est que l’explication la plus improbable me soit apparue la plus évidente au point d’occulter la plus simple, la plus raisonnable, la plus flagrante ; point d’œuvre d’art livrée à l’admiration des badauds, mais banals travaux d’entretien menés par la Ville. Faut avoir les circonvolutions cérébrales aux aguets de je ne sais quoi pour sauter ainsi à pareilles conclusions.

J’en appelle pourtant à votre indulgence. Il planait déjà au dessus et autour des coquilles l’espèce de solitude a) respectueuse b) indifférente (rayer la mention inutile) qui protège l’œuvre d’art publique du contact avec le public. Faut dire que la Voirie était partie diner, laissant le chantier désert. Ensuite, il faut avouer que ces demi-coques, cette procession de macaronis, ces collets tronqués posés à la queue-leu-leu sur le sol dans une disposition qui semblait à la fois tenir du hasard et d’une intention réfléchie, avait la parfaire allure d’une œuvre d’art vachement songée.

Vraiment, les circonstances atténuantes abondent pour excuser ma méprise.

Ne manquait à ces séduisantes coquilles, pour accéder au statut d’œuvre d’art, que le contexte ; un éclairage muséal, le silence d’une salle d’exposition et, surtout, l’étiquette, la notice explicative. Si l’habit ne fait pas le moine, l’étiquette, elle, fait l’œuvre d’art.

Je répare cette omission et je vous compose derechef la notice qui convient :

Concaténation concoïdale ou Concatenatio interrupta

Cheminement concoïdoïde urbain de conques ombilicales allant par paires, comme symbole de la motivation autoréferentielle de toute relation/communication et aussi métaphore de l’aliénation de l’homo urbanus, maillon isolé de la concaténation commune.

L’art, comme dans la beauté, est-il d’abord dans l’oeil de celui qui regarde ? Suis-je un créateur de génie ?


Une version primitive de ce texte se trouve dans le billet « Concatenatio interrupta à Ottawa » paru dans mon blogue Balour Dix (16 sept. 2016). Il a inspiré un article intitulé « Autarcie artistique », paru dans la revue Liaison (no 178, 2018) ; une version en ligne existe dans le blogue Balour Dix.

Commentaires 1

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *